Fort impact, sous nos latitudes, du succès de la liste Europe-Ecologie conduite par Daniel Cohn-Bendit aux élections européennes. Dimanche soir sur les plateaux de télévision, le plaisir du trublion attitré de la politique franco-allemande depuis un certain Mai 68 éclatait dans ses yeux rieurs. Dans le genre: «Je vous ai bien eu!» Car, familier des coups politiques, l’homme n’a pas pour habitude de bouder son plaisir. Parlant vrai avec un culot sans pareil, il se paie à la source en prenant son pied.
Quoique reconverti dans le lib-lib (libéral-libertaire), l’anar je-m’en-foutiste n’est jamais très loin. D’ailleurs, dès dimanche soir, n’annonçait-il pas son prochain coup en proclamant la nécessité de faire barrage à la réélection de Baroso, le président de la Commission bruxelloise?
Est-ce à dire que les 2,8 millions de voix recueillies par Europe-Ecologie annoncent une conversion de la France à la culture verte? Rien n’est moins sûr. Tout indique au contraire que Cohn-Bendit a réussi une alliance ponctuelle de gens qui, en dehors de cet appétit électoral de circonstance, n’ont pas grand chose en commun.
Leur succès doit beaucoup au dynamisme tactique de Cohn-Bendit, à la morosité induite par la déprime des socialistes, à la bêtise de Bayrou et au coup de pouce de dernière minute apporté par la diffusion massive de «Home», le film catastrophe de Yann Arthus-Bertrand, qui, comme tous les appels de ce genre, troublent les consciences le temps d’un remord dont l’intensité ne le cède qu’à la brièveté.
Pour parvenir à peser efficacement sur les politiques européennes, l’écologie doit se structurer en idéologie ayant réponse aux principales questions que pose la fin symbolique du cycle civilisationnel fondé sur l’automobile, une fin marquée quelques jours avant le scrutin par la faillite et la nationalisation subséquente de General Motors.
Le XIXe siècle a vécu de la machine à vapeur, le XXe de la voiture. Que nous réserve le XXIe ? Malgré ses innombrables théoriciens, l’écologie — dont l’avenir ne fait aucun doute! — est encore incapable de le prévoir. Comme dans l’Europe-Ecologie de Cohn-Bendit, il y a autant de pistes à suivre que d’individus.
Mais, dira-t-on, avec 52 députés européens, les écolos pourront peser sur la politique de Bruxelles. Mettons qu’ils pourront avancer quelques idées qui ne seront généralement pas perçues dans le reste de l’Union Européenne. Si l’on regarde la carte des résultats, on constate que seuls deux pays, la France et l’Allemagne ont, avec 14 députés chacune, une représentation marquante.
Le reste est anecdotique. Les autres grands Etats européens n’ont pas ou presque de députés verts. Personne en Italie et en Pologne. Deux députés (élus en Irlande) pour la Grande-Bretagne, deux aussi en Espagne, mais l’un d’eux est communiste. En Scandinavie, la présence verte est insignifiante et elle est complètement inexistante dans l’ancienne Europe de l’Est.
Ce n’est toutefois pas une raison pour désespérer. Les formations écologistes restent les plus ouvertes sur l’avenir, même si leur point de départ, le fameux Rapport de Rome, est déjà vieux de 40 ans.
Par ailleurs, les forces conservatrices plébiscitées le 7 juin ne vont pas leur porter ombrage. Même si elles s’adonnent à de plaisantes gesticulations sur les déséquilibres climatiques ou les incertitudes énergétiques, leur vocation ne change pas. Il s’agit pour elles de faire respecter l’ordre social que l’accroissement du chômage ne va pas manquer de perturber, de rétablir les équilibres financiers durement touchés par la crise, de renforcer le protectionnisme industriel nouvellement à la mode sans lequel leurs mandants ne sauraient tenir leur rang dans les indices boursiers.