Survenant trente ans après la formidable vague de fond qui, implacablement, de quarante jours en quarante jours, accoucha de la République islamique, les événements qui secouent l’Iran ces jours-ci témoignent du bouillonnement intérieur d’une révolution dans la révolution.
Si le phénomène est classique dans l’histoire des grandes révolutions, la spécificité iranienne tient à la longueur du cycle. Trois décennies et seulement deux dirigeants – les Guides suprêmes Khomeyni et Khamenei – sans remise en cause du leadership religieux: cette histoire est tout à fait exceptionnelle.
La Révolution française connut des soubresauts extrêmement violents – la Terreur, Thermidor, Prairial, etc. – mais seulement sur une dizaine d’années avant de se calmer sous la dictature de Bonaparte et de se normaliser bourgeoisement sous les flonflons (doublés de tambours guerriers) napoléoniens. En un quart de siècle, épuisés, les Français reniant leurs aspirations révolutionnaires revenaient à l’Ancien Régime.
En Russie, après les violences de la lutte pour le pouvoir et de la guerre civile (1917-1921), les bolcheviks forts de l’expérience française firent de la Terreur un système de gouvernement dans l’espoir d’éviter un Thermidor qui aurait dévoré les acteurs de la Révolution. En réalité, ils instaurèrent sous la direction de Staline un Thermidor permanent qui, broyant les hommes, permit à la machine dictatoriale de fonctionner pendant trois quarts de siècle sans jamais laisser éclore la possibilité d’une révolution dans la révolution. Vidé de substance, l’édifice s’écroula de lui-même.
C’est dans la Chine rouge que l’on rencontre la première révolution dans la révolution. Parvenu au pouvoir (1949) après une très longue guerre civile, Mao Tsé-toung entreprit de s’y maintenir en lançant de vastes et sanglantes opérations de propagande de masse, les Cent fleurs (1957), puis le Grand bond en avant (1958-1960). Le désastre qui s’ensuivit fut tel qu’appliquant le concept de révolution dans la révolution, il déclencha la Révolution culturelle en 1966 en s’appuyant sur une jeunesse fanatisée, les Gardes rouges.
Tous les rouages de l’Etat furent bouleversés, de même que les rapports sociaux, les modes de production et, bien sûr, les structures du pouvoir politique. Seule la mort du dictateur, dix ans plus tard, mit fin à la catastrophe, à cette Révolution culturelle que Mao avait théorisée en recourant au concept de «révolution ininterrompue» pour se distancier de la «révolution permanente» de Trotski.
Par la suite, les communistes chinois emmenés par Deng Xiaoping et ses successeurs inventèrent une formule originale, la réintroduction de l’économie de marché dans le cadre d’une dictature très théoriquement communiste.
C’est manifestement du dernier Mao, de celui de la Révolution culturelle, que semblent s’inspirer aujourd’hui les mollahs au pouvoir à Téhéran. Le cadre idéologique et les références culturelles n’ont rien de commun, mais la méthode est la même. Il s’agit de s’assurer le contrôle du pouvoir en brassant les cartes et en les redistribuant en fonction d’intérêts et de clans qui, à la longue, dans un système dictatorial clos, ne peuvent que s’entredéchirer. Bien malin qui pourrait maintenant prévoir l’issue de cette révolution dans la révolution.
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Cet article a été publié le vendredi 19 juin 2009, et corrigé le mercredi 8 juillet 2009.