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Les créationnistes s’implantent en Suisse

Deux siècles après la naissance de Charles Darwin, les fondamentalistes religieux multiplient les attaques contre la «théorie de l’évolution». Après avoir touché les Etats-Unis, leur influence se répand en Suisse. Enquête.

«La vraie science n’est pas celle de l’évolution, c’est celle de la Bible.» Daniel Mathez, directeur du Centre biblique européen (CBE) à Vuarrens (Vaud), défend sans sourciller son appartenance au courant évangélique et la scientificité du créationnisme.

«Il y a encore une vingtaine d’années, ce genre de discours n’était pas très répandu, commente Pierre Gisel, professeur de théologie à l’Université de Lausanne (Unil). Mais aujourd’hui, le message créationniste est en pleine recrudescence.» A tel point que, lors de la dernière campagne électorale américaine de 2008, John Mc Cain n’hésitait pas à affirmer que «chaque américain devrait être informé des deux théories (ndlr: celle de l’évolution et celle créationniste)».

D’abord cantonnés aux Etats-Unis, le mouvement créationniste et son petit frère le «dessein intelligent» (intelligent design, ou ID) s’installent désormais dans d’autres pays. «Depuis 5 ou 6 ans, le débat sur l’enseignement des deux théories à l’école est apparu en Europe, explique Cyrille Baudouin, physicien et coauteur du livre «Les créationnistes». La propagande a notamment sévi dans plusieurs pays européens, rendant ce message beaucoup plus visible dans la population.»

Dernier épisode en date, en 2007, un millier d’exemplaires de l’ «Atlas de la création», un volumineux ouvrage de 700 pages signé Harun Yahya, était envoyé aux écoles et bibliothèques romandes. Richement illustré ce livre tente de prouver scientifiquement, photos d’animaux et fossiles à l’appui, que l’homme et les espèces sont restées inchangées depuis la création divine.

«La diffusion de cet ouvrage a fait prendre conscience de l’existence d’un créationnisme musulman, jusque-là relativement ignoré en Occident, souligne Cédric Grimoult, coauteur du livre «Mon père n’est pas un singe». Dans l’ «Atlas de la création», Harun Yahya accuse la théorie de l’évolution de tous les maux: fascisme, communisme, attaques terroristes du 11 septembre 2001… Tout est de la faute de Darwin!»

«Les thèses créationnistes fleurissent sur la crise relative que traverse l’Occident, poursuit Pierre Gisel. Jusqu’aux années 1970, l’immense majorité des populations pensait que la science allait apporter bonheur et développement économique. Aujourd’hui, cette espérance s’est envolée. Les sciences et techniques ont plutôt mauvaise presse: elles représentent les bombes nucléaires, la crise écologique et bien d’autres maux. Les fondamentalistes utilisent ces peurs pour faire passer leurs idées.»

Mais, si le discours d’Harun Yahya — selon lequel Dieu a créé l’homme à son image — n’exerce qu’une influence limitée en Europe, il en va tout autrement du “dessein intelligent”. Créé aux Etats-Unis par un cercle de réflexion conservateur chrétien, le Discovery Institute, ce concept admet l’évolution des espèces mais rejette la sélection naturelle. «Le dessein intelligent défend l’idée selon laquelle l’évolution ne peut qu’être l’œuvre de Dieu, explique Cédric Grimoult. Il se maquille derrière un vernis pseudo-scientifique, pour poser en véritable alternative à la vraie science.»

A Vuarrens, Daniel Mathez organise des séminaires avec de “prestigieux scientifiques”: «Nous avons invité plusieurs fois le docteur A. J. Monty White, diplômé de l’Universty of Wales. Ses conférences ont rassemblé plus d’une centaine de personnes», se félicite le directeur du Centre biblique européen.

Bardé de titres scientifiques, A. J. Monty White n’est autre que le directeur de l’antenne britannique de l’organisme américain Answer in Genesis (AiG).

«Nous avons également publié une quinzaine de livres “scientifiques” et des brochures, poursuit Daniel Mathez. Nous les distribuons aux étudiants et à ceux qui aiment se cultiver.» En Suisse alémanique, le groupuscule ProGenesis aimerait construire un parc de loisirs, Genesis-Land, qui aurait pour objectif de «diffuser le message chrétien comme un contrepoids à la théorie omniprésente de l’évolution de Darwin».

«Le problème, c’est que l’on mélange tout, s’emporte Daniel Cherix directeur du Musée de zoologie de Lausanne. La science s’appuie sur des faits, comme par exemple les spécimens ou les fossiles, alors que les religions sont de l’ordre de la croyance. Pour développer une théorie scientifique, il n’y a pas besoin de Dieu.» La résurgence du créationnisme étonne d’autant plus le zoologue que «si à l’époque de Darwin admettre l’évolution était de l’ordre de la croyance, aujourd’hui nous disposons de preuves solides apportées par la génétique et la datation qui valident cette théorie.»

Pour remettre en cause ces preuves scientifiques et imposer leur théorie, les créationnistes évoquent le “doute critique”. «C’est le principe fondamental de la science, souligne Cédric Grimoult. Le doute est toujours permis. Une théorie scientifique, même communément admise, peut un jour se révéler fausse.»

«Il existe des failles à la théorie de l’évolution, clame ainsi Daniel Mathez. Les scientifiques ont dû inventer des fraudes, comme l’homme de Piltdown, pour l’imposer.»

«L’arbre phylogénétique comporte des chaînons manquants qui restent inexpliqués par la théorie de l’évolution, rappelle également Maximilien Bernhard, député UDC au grand conseil vaudois. Il me paraît donc normal de présenter les deux théories lors des cours de biologie, afin que l’éduction ne soit plus unilatérale.»

Une déclaration qui fait bondir Daniel Cherix. «J’admets tout à fait que l’on puisse débattre du sujet à l’école dans un cours de philosophie des sciences ou d’histoire des religions. Mais dans les cours de science, on ne peut pas enseigner n’importe quoi. Ce n’est pas de la science!»

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Une version de cet article est parue dans le magazine scientifique Reflex.