LATITUDES

Le défi des graffiti

Actes de vandalisme ou oeuvres artistiques? Les graffiti agitent la Suisse et entrent au musée à Paris. Alors qu’à Berlin, les bombes passent dans les mains des seniors.

«Après cette balade en ta compagnie, me voilà un peu rassurée.» Et pourquoi donc Monica, avec qui je déambule depuis une heure dans Neuchâtel, est-elle rassurée? «Tu ne vois pas toutes ces taches qui salissent notre ville?»

Je n’ai effectivement pas prêté une attention particulière aux nombreux graffiti rencontrés sur notre trajet. Pour moi, ils font partie de tout environnement urbain alors que Monica les assimile à autant de déprédations.

Ce printemps, elle a rejoint des citoyens qui se battent pour «nettoyer» leur ville, maculée à leurs yeux. Ils ont déjà pris contact avec les politiciens d’autres villes jugées plus «propres» pour connaître les moyens efficaces à mettre en oeuvre. Ils alertent régulièrement leurs autorités de l’arrivée de nouvelles «souillures» et les implorent d’entreprendre quelque chose de «sérieux».

A la fin des années 1970, les autorités zurichoises n’avaient pas hésité, elles, à se montrer «sérieuses», dissuasives même. Harald Naegeli, le célèbre sprayeur aux personnages tracés de quelques coups de bombe, était arrêté en juin 1979 alors qu’il venait rechercher ses lunettes sur le lieu d’un de ses crimes.

Il avait parsemé la ville de quelque 900 «bombes poétiques» (le nom qu’il donnait à ses dessins). La justice le condamna à neuf mois de prison et 200’000 francs d’amende. Conséquences: 72 artistes suisses signèrent une pétition, alors que Jean Tinguely et Bernard Luginbuhl entamaient une grève de la faim en signe de protestation. Sans succès. La Cour suprême confirma, en 1981, la sentence. Entre-temps, le «vandale» avait rejoint l’Allemagne pour ne pas avoir à purger sa peine et pour poursuivre son oeuvre.

La petite commune de Vellerat qui luttait alors pour rejoindre le canton du Jura, avait tenté d’entrer en contact avec Naegeli, espérant le convaincre de participer à une fête en «invité d’honneur». Un pied de nez à la Suisse qui n’a pas pu se concrétiser.

En 1984, après bien des péripéties, le graffiteur honni se livrait lui-même à la police et purgea sa peine sur les bords de la Limmat.

Aujourd’hui, des graffiti de celui qui jouit d’une renommée artistique internationale sont encore visibles sur les murs zurichois. Des galeristes ont protégé certains d’entre eux en les recouvrant de plexiglas. Il existe même un parcours Naegeli emprunté par des amateurs d’art venus souvent de l’étranger qui passe sous la façade de l’Université où est allongée la célèbre «Ondine».

Depuis cet été, la pratique clandestine et illégale qu’est le graffiti s’enferme au musée. A Paris, à la Fondation Cartier, l’exposition «cialis available dosage» retrace l’histoire du graffiti. Depuis les premiers signes noirs sur les murs jusqu’aux ensembles colorés des wagons du métro, des «writers» du Bronx aux «pixadores» de Sao Paulo, de Lady Pink et Dondy à Keith Haring, Jean-Michel Basquiat et Nug, de la marginalité à une expression artistique reconnue; l’histoire du graffiti n’en finit pas de nous interpeller.

Dernier étonnement, des seniors qui s’éclatent, bombe en main, sur des murs. Nous sommes à Berlin, où sont organisés des ateliers intitulés Senior Street Art. Les participants, des personnes âgées y découvrent l’inspiration grâce à la pratique du graffiti au prétendu pouvoir thérapeutique sur la déprime liée à la vieillesse.

Conçus en toute légalité, ces graffiti sont-ils encore des graffiti ou juste un placebo de lifting? Des entreprises de récupération? Très tendance, la récup!