GLOCAL

La lente machine se remet en route

Malgré l’apathie des électeurs, l’Europe avance. Même dans cette Roumanie qui passe pour un mauvais élève: l’exemple des villages de Sibiu et Sibiel.

Le Parlement européen élu le 7 juin dernier est officiellement entré en fonction. A l’image des Etats qui composent l’Union, il roulera à droite, mais dans une proportion moindre. Si 22 Etats sur 27 ont désormais des gouvernements de droite, les eurodéputés représentent toutefois un spectre plus large de l’éventail politique.

Le centre droit peut en effet compter sur les 264 députés inscrits au PPE (groupe des démocrates-chrétiens et conservateurs) et les 84 de l’ADLE (Alliance des démocrates et des libéraux européens) alors que le centre gauche s’appuie sur 184 membres des S&D (Alliance progressiste des socialistes et des démocrates) et des 54 Verts. La disparition du sigle PSE (Parti socialiste européen) s’explique par l’arrivée dans le groupe des Démocrates italiens issus de la fusion des anciens communistes avec la gauche démocrate-chrétienne.

N’empêche! Le rapport de force est clairement favorable à la droite. Par rapport aux opinions publiques, il est notable que l’eurosceptisme est sous-représenté. Extrême-gauche, extrême-droite, europhobes et eurosceptiques en tous genres ne sont représentés que par 150 députés, soit un petit cinquième de l’hémicycle.

Est-ce à dire que l’Europe est en panne? Si l’on considère la situation par le petit bout de la lorgnette, la cause semble entendue. La faiblesse de la participation aux dernières élections européennes prouve un manque d’intérêt certain de la part de l’électorat. Les responsables politiques considèrent toujours que leur carrière se joue sur le plan national et les politiciens envoyés à Strasbourg, voire à Bruxelles, sont la plupart du temps des seconds couteaux. Le phénomène se vérifie d’un bout à l’autre du continent.

Le manque de personnalités capables de mobiliser les populations sur un projet continental se fait toujours sentir, même si l’on voit bien que certaines ambitions pourraient se frayer des voies royales vers le pouvoir. Dans ce sens, le court intermède sarkozien à la présidence de l’UE est emblématique. Le dirigeant français a su se créer en quelques mois une aura européenne comparable à celles des Mitterrand et Kohl, mais les spots éteints, il est vite retombé dans son pré carré hexagonal.

Un autre élément joue un rôle important dans cette apparente désaffection, c’est la généralisation de la paix et d’un certain bien-être sur le continent. Les politiciens d’aujourd’hui, de même que leurs électeurs, ne connaissent la guerre que par les livres d’histoire. L’abolition des frontières, la disparition (sauf dans les Balkans et en Lombardie) du nationalisme agressif ont pacifié les esprits. S’ajoute à cela, au-delà d’une crise économique vécue comme passagère, un bien-être général que chacun peut constater, de Lisbonne à Bucarest, de Nicosie à Londres. Pratiquement démilitarisée si l’on se réfère à ce qu’elle était il y a un demi-siècle, l’Europe travaille, certes, mais sait aussi se divertir, prendre des vacances, faire la fête, courir les festivals de toutes sortes.

Mais en profondeur, l’Europe avance. Les milliers de fonctionnaires et technocrates européens (ceux de Bruxelles, mais aussi et peut-être surtout ceux qui sont sur le terrain) construisent le continent de demain, en développent les infrastructures, construisent les réseaux intellectuels qui, demain, renouvelleront l’antique culture européenne.

Un exemple? J’écris cet article dans un village de Transylvanie proche de Sibiu, ville fondée par des colons allemands vers 1200. En 2007, Sibiu fut capitale européenne de la culture. Soutenue par des fonds européens, la municipalité fit un travail extraordinaire pour rendre présentable une ville sinistrée (comme le reste des villes roumaines) par le régime de Ceauşescu. Elle est aujourd’hui pimpante, accueillante et trépidante du point de vue culturel avec des festivals de théâtre, de musique, de danse, etc. De surcroît, le bouche à oreille, beaucoup plus que la promotion du ministère du tourisme, fait que des flots de touristes se déversent sur ses places admirables bordées de terrasses.

Le village de Sibiel quant à lui reste un vaste chantier. Un programme européen judicieusement sollicité a permis en quelques mois l’installation du gaz, de l’eau courante, et du traitement des eaux usées dans la dizaine de patelins que compte la commune. On ne compte pas par ailleurs le nombre de maisons que les habitants immigrés aux quatre coins de l’Europe s’attachent à reconstruire. Pas plus à Sibiu qu’à Sibiel, les gens ne se sont sentis concernés par le scrutin du 7 juin. L’Europe? Grâce aux travaux des eurodéputés, elle défonce rues et ruelles pour poser des canalisations, mais ils ne la connaissent pas.

Il faudra attendre encore une génération ou deux pour qu’elle entre dans leurs mœurs. D’ailleurs, Genève qui s’intéresse soudain à un poste à Berne n’a-t-elle pas mis un siècle et demi pour découvrir son identité suisse?