LATITUDES

«Nous devrons augmenter la hauteur des barrages»

Hans Püttgen, directeur de l’Energy Center de l’EPFL, partage sa vision du futur de l’énergie. Interview.

Faut-il regretter le pétrole très cher des dernières années, qui a encouragé le développement d’énergies renouvelables?

Le problème n’est pas le prix du brut, mais la rapidité et l’ampleur de ses variations. Elles empêchent des investissements sereins et durables, autant pour les compagnies pétrolières que dans le domaine des énergies renouvelables, dont le prix dépend de celui du pétrole. Si le baril à plus de 140 dollars de l’été 2008 a permis l’extraction d’huiles lourdes ou de sables bitumineux, ces formes d’exploitations très chères ne sont déjà plus rentables avec un baril autour de 50 dollars (ndlr: 65 dollars actuellement). Si l’on écoute certains «think tanks», il faudrait établir un prix plancher du pétrole entre 70 et 80 dollars.

Vers 2050, la population mondiale atteindra neuf milliards d’habitants. Quel visage prendra l’approvisionnement énergétique de demain?

Le futur énergétique de la planète se jouera non seulement en Chine et en Inde mais également dans tous les pays en voie de développement, où la demande finira par exploser. Il faudra les convaincre d’utiliser des technologies plus propres, même si elles sont plus chères. On ne peut pas dire aux pays en développement: «Ne consommez pas davantage!».

Et en Europe?

Les pays industrialisés devront adopter une consommation plus raisonnable, ce que j’appelle la sobriété énergétique. Il faut apprendre à se maîtriser, c’est un peu comme avec le vin: on peut en boire de manière raisonnable tout en vivant bien.

Croyez-vous au projet de la société à 2000 watts, qui vise à diviser notre consommation énergétique par trois?

J’y crois en tant que vision… La Suisse a d’ailleurs très légèrement diminué sa consommation d’énergie ces dernières années, même si celle d’électricité a augmenté. Cette vision implique des actions concrètes, comme par exemple mieux isoler nos bâtiments ou améliorer nos voitures. Même plus efficaces, nos véhicules continuent de consommer trop car ils sont devenus trop lourds afin de satisfaire aux exigences de sécurité.

Pourrons-nous nous passer du nucléaire?

Il est impossible d’y arriver tout de suite. Les nombreux changements nécessaires prendront des décennies. Pour remplacer le nucléaire avec de l’énergie solaire, il faudrait l’équivalent de 7’000 fois la surface photovoltaïque installée au Stade de Suisse, la plus grande infrastructure du pays. Et même si toutes les nouvelles constructions suisses satisfaisaient au label Minergie, il faudrait un demi-siècle pour que tous les bâtiments soient au niveau, car seul 1,5% du parc immobilier se renouvelle chaque année.

Alors, quelle voie choisir?

Je milite pour une solution globale qui engage tous les secteurs et toutes les ressources: économies, énergies renouvelables et nucléaires, ainsi que des hydrocarbures plus propres. Nous devrons augmenter la hauteur des barrages et développer sur les petits cours d’eau des installations minihydrauliques de quelques mégawatts. L’hydraulique reste l’une des rares techniques capable de stocker l’énergie. Elle permet de réagir très vite aux variations de la demande, ce qui est un atout majeur pour notre pays.

Faut-il développer le courant continu pour les réseaux de demain?

Les lignes à courant continu en très haute tension (HVDC) permettent de diminuer les pertes sur de très grandes distances. Pour l’instant, cette solution ne se justifie pas vraiment pour un petit pays comme la Suisse. Mais le photovoltaïque produit du continu, et de nombreux appareils fonctionnent sur ce mode. Nous réfléchissons donc à des réseaux de distribution en courant continu qui éviteraient les pertes dues aux transformateurs. La gestion des réseaux, qui seront de plus en plus bidirectionnels, devra de toute façon changer. Car avec des panneaux solaires sur leur toit, les utilisateurs deviendront également producteurs.

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Portrait
Hans B. «Teddy» Püttgen est titulaire de la chaire de Gestion des systèmes énergétiques de l’EFPL et dirige depuis sa création, en 2006, l’Energy Center, qui coordonne les recherches de l’EPFL en matière énergétique. Il fut président de la Power Engineering Society de l’Institute of Electrical and Electronics Engineers (IEEE) ainsi que CEO de Georgia Tech Lorraine, un campus américain off-shore situé en France.

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Une version de cet article est parue dans le magazine Energy forum