CULTURE

Capuçon, interview d’un maître du violon

Le Français Renaud Capuçon compare l’interprétation de Mozart à une pièce de théâtre. Il parle de son Guarnerius et de l’énergie qui lui permet de tenir en concert. Rencontre.

Si son air ténébreux fait depuis l’été dernier les beaux jours de la presse people, Renaud Capuçon n’a pas attendu de s’afficher aux côtés de la présentatrice du 20 heures de TF1 Laurence Ferrari pour attirer l’attention des amateurs de musique classique.

À 33 ans, l’archet de Chambéry a déjà une belle carrière de violoniste soliste et de musicien de chambre derrière lui. Seul, en compagnie de son frère cadet (le violoncelliste Gautier Capuçon) ou avec un orchestre, il parcourt le monde pratiquement sans interruption depuis plusieurs années.

Ses interprétations de Brahms ont révélé son grand talent de chambriste. La richesse de sa palette, sa rondeur et son élégance s’accordent particulièrement bien à l’œuvre du romantique allemand. Se sentant pousser des ailes depuis qu’il joue sur un violon à l’histoire prestigieuse, le Guarneri del Gesù qui a appartenu au violoniste américain Isaac Stern et que lui prête la Banque de la Suisse italienne, Renaud Capuçon s’attaque désormais à un répertoire beaucoup plus vaste, de Bartók à Dutilleux en passant par Mozart.

Le violoniste français vient justement de consacrer un disque au compositeur viennois, qui rassemble les concertos pour violon 1 et 3, ainsi que la symphonie concertante. Il est accompagné par le jeune virtuose de la viole Antoine Tamestit et par l’Orchestre de chambre d’Ecosse sous la direction de Louis Langrée. Preuve de la maturité de son talent, le Festival Menuhin de Gstaad lui a donné carte blanche cet été pour trois soirées. Interview.

Le choix de Mozart peut paraître assez convenu, notamment ces deux concertos que certains jugent mineurs dans son œuvre…

Il est vrai que le premier concerto sonne un peu juvénile, mais je ne pense pas que ce soit un choix convenu pour autant. Le troisième concerto fait partie des compositions les plus délicates de Mozart au violon. Techniquement, on peut le jouer assez jeune, mais l’interprétation demande beaucoup de finesse. Quant à la symphonie concertante, c’est un chef-d’œuvre. J’adore ces pièces que j’ai découvertes grâce au magnifique enregistrement d’Arthur Grumiaux.

Pourquoi les avoir enregistrées maintenant?

Ma maison de disques m’a suggéré une rencontre avec l’orchestre et Louis Langrée. Nous nous sommes tout de suite bien entendus. Ils jouent eux-mêmes énormément Mozart. Ils sont très à l’écoute, comme si on faisait de la musique de cham­bre. Leur phrasé m’a paru exceptionnel. Ensuite, c’est une question de timing. Il y a cinq ans, j’aurais refusé. Mais là je sentais que ce répertoire était mûr. Cela ne s’explique pas vraiment.

Quelles difficultés ces pièces vous ont-elles posées?

Interpréter Mozart, c’est comme jouer une pièce de théâtre. Chaque articulation, cha­que vibrato a son importance. On entend tout. Si on ne distingue que la ligne, c’est raté, mais on ne doit pas non plus percevoir que les détails. C’est de l’horlogerie très précise. Il faut le jouer avec un maximum de pureté tout en cherchant à ce que cela sonne facile.

Vous jouez régulièrement en Suisse, comment jugez-vous le public?

J’ai donné mon premier concert en Suisse. J’y viens en voisin puisque je suis de Chambéry. J’apprécie énormément le public qui allie les qualités des Allemands et celles des Français, soit la rigueur du connaisseur adoucie par un côté jovial. En plus, les lieux de concerts comme Gstaad, Ascona, Zurich ou Montreux sont sublimes.

C’est une banque suisse qui vous prête votre instrument. Comment êtes-vous entrés en contact?

J’avais rencontré le président de la banque lors d’un concert à Lugano. Un jour, il m’a simplement appelé pour me proposer un partenariat. J’ai pu me mettre moi-même en quête d’un instrument que la banque se proposait d’acheter. Un type de mécénat inédit à ma connaissance.

N’êtes-vous pas parfois jaloux de votre Guarnerius que tout le monde admire?

Non, c’est une œuvre d’art exceptionnelle et mon compagnon de route. Avec lui, je me sens comme un peintre qui bénéficie d’une palette infinie. Lors des concerts, il m’apporte plus d’assurance et de confiance en moi. J’ai joué la semaine dernière pour la première fois un concerto de Stravinski. Pendant les répétitions, un musicien m’a montré une photographie de Isaac Stern avec Stravinski et mon violon. Cette vision m’a donné un coup d’adrénaline extraordinaire pour le concert.

Sentez-vous les vibrations de vos prédécesseurs?

Oui, c’est très troublant de jouer par exemple une «Sérénade» de Bernstein et de savoir que le violon a déjà résonné de cette manière, qu’il connaît pour ainsi dire la musique. Vous dites que votre instrument vous a ouvert de nouveaux répertoires.

Y a-t-il encore des compositeurs que vous craignez d’aborder?

Il y a encore beaucoup de choses que je ne me sens pas prêt à exécuter en public, comme certaines pièces de Chostakovitch ou les concertos de Prokofiev. Chaque année j’ajoute deux ou trois pièces à mon répertoire.

Avez-vous un truc pour évacuer le trac d’avant concert?

J’ai besoin d’une coupure psychologique avant de jouer. Je fais donc une sieste d’environ trente minutes. Quand j’en sors, j’ai le sentiment d’une nouvelle journée qui commence.

Vous vous produisez énormément, parvenez-vous à chaque fois à donner le meilleur de vous-même?

L’an dernier, j’ai dû annuler une série de concerts parce que j’étais épuisé. Si je les avais maintenus, ce n’aurait pas été de bonnes prestations. Il faut faire attention à ne pas dépasser certaines limites. Mon programme est mieux organisé que par le passé. Avec la maturité, on a envie de passer plus de temps avec ceux qu’on aime. Avant, il n’y avait que la musique qui comptait. Quand on est jeune, on est excité et on a tendance à dire oui à chaque projet. On évolue en permanence sur le fil. C’est cette énergie qui permet de tenir. Paradoxalement, je tombais malade quand je me reposais.

Vous retrouvez votre frère cet été à Gstaad, pourtant on vous voit moins souvent ensemble…

On a décidé de limiter la fréquence pour continuer à jouer plus longtemps ensemble. Une façon d’éviter un gros clash dans quatre ans. On s’est rendu compte qu’on s’entendait mieux quand on se voit moins souvent.

Qu’avez-vous encore à prouver? Quelle trace souhaitez-vous laisser dans la musique?

Je n’ai rien à prouver, j’espère juste avoir des choses à offrir. J’aspire aussi à ne pas décevoir et ne jamais cesser d’apprendre dans mon métier. C’est extraordinaire de voir par exemple le chef d’orchestre Claudio Abbado qui continue à apprendre aux côtés des jeunes. Le compositeur Henri Dutilleux m’impressionne aussi pour son humilité. Il faut donner sans chercher à se servir de la musique.

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Biographie

Renaud Capuçon est né le 27 janvier 1976 à Chambéry. Il entre au conservatoire de sa ville natale à 4 ans, puis intègre le Conservatoire national supérieur de musique de Paris à l’âge de 14 ans, dans la classe de Gérard Poulet. Il en ressort trois ans plus tard avec un premier prix de musique de chambre et un premier prix de violon.

Durant les années qui suivent, il participe à de nombreux concours internationaux, et intègre l’Or­chestre des jeunes de la Communauté économique européenne, puis l’Orchestre des jeunes Gustav Malher (en tant que pre­mier violon) sous la direction de Claudio Abbado. Il entreprend en parallèle une carrière de soliste, mais également de chambriste en jouant notamment avec Nicholas Angelich, Jérôme Ducros, Frank Braley, Hélène Grimaud, Gérard Caussé, ainsi qu’avec son frère Gautier (violoncelliste). Depuis 2008, il partage sa vie avec la journaliste française Laurence Ferrari.

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Une version de cet article est parue dans le magazine Trajectoire.