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La fin d’un tabou

Le cancer n’est plus systématiquement passé sous silence. Des stars comme Kylie Minogue, mais aussi des écrivains et des campagnes de publicité, ont changé son statut et sa perception. Flashback.

Dans les avis mortuaires, on lit que telle personne est décédée après «une pénible et cruelle maladie supportée avec courage et dignité» ou «après un admirable combat contre la maladie supportée avec courage et lucidité». Plus bas, on découvre qu’en lieu et place de fleurs, un don peut être adressé à une ligue contre le cancer. Une indication qui dissipe le doute sur la maladie en question.

Cancer, le mot qui tue, la maladie qu’on préfère ne pas nommer, contrairement aux arrêts cardiaques, si souvent mentionnés dans les avis mortuaires. Or, depuis peu, certaines familles franchissent le pas et annoncent que leur proche est «mort d’un cancer». Les non-dits tombent. Un changement est en cours dans la perception du cancer. Une maladie qui n’épargne personne, même pas les «people» dont le «coming out» de certains d’entre eux a, sans conteste, contribué à l’émergence d’un regard nouveau sur cette affection.

L’actrice américaine Gilda Radner joua les pionnières en médiatisant son cancer ovarien, dont elle finira par mourir en 1989. Un décès qui fit à l’époque davantage pour le dépistage précoce des cancers les plus fréquents que toutes les campagnes menées jusque là. En 2004, la chanteuse Anastacia révélait être atteinte par un cancer du sein. Elle était suivie, en 2005, par Kylie Minogue dont le vécu médical tiendra en haleine ses fans.

Plus récemment, Jade Goody, la star de la télé-réalité britannique, a vendu aux médias son cancer du col de l’utérus pour «assurer l’avenir de ses enfants». Son agent veut croire que cette exploitation publique aura sauvé des vies: «Depuis qu’elle a parlé de cette maladie mortelle, le nombre de jeunes femmes britanniques ayant subi un dépistage du cancer de l’utérus a augmenté de 20%». Une ancienne vedette, Farrah Fawcett, après avoir disparu des magazines pendant des années, a refait surface grâce à l’annonce d’un cancer du côlon qui l’a emportée cet été.

«Trois millions de seins couturés, scannérisés, marqués de dessins rouges et bleus, irradiés, reconstruits, cachés sous les chemisiers et les tee-shirts, invisibles. Il faudra bien oser les montrer un jour. Ecrire sur le mien participe de ce dévoilement», estime Annie Ernaux dans «L’usage de la photo» (Gallimard). Ils ont osé se montrer, les seins.

Des clichés de femmes nues ont contribué à faire tomber d’autres clichés. Ainsi, la «Ligue suisse contre le cancer» faisait appel, en 2000, à un photographe de renom et à trois personnalités des médias pour une campagne de sensibilisation. Trois femmes connues acceptaient de dévoiler leur poitrine. La même année, dans les stations du métro berlinois, quatre femmes opérées du cancer du sein exposaient leur visage et leur poitrine nue sur d’énormes posters. Des tentatives visuelles pour briser le tabou.

Parallèlement, en littérature, que de chemin parcouru depuis «Mars» jusqu’à «Cancer and the City»: si, à la fin des années 1970, l’écrivain Fritz Zorn, enfant de la rive dorée zurichoise, se pose en victime expiatoire, en début du XXIème siècle, l’illustratrice new yorkaise Marisa Cacocella Marchetto transforme son cancer en une BD souvent hilarante et toujours tonique. Une sorte d’éloge de la légèreté et de la futilité comme armes de survie.

Idem avec Miriam Engelberg, confrontée au même coup du sort qui publie «Comment le cancer m’a fait aimer la télé et les mots croisés» (Editions Delcourt). Un autre témoignage sous forme de bande dessinée très drôle. Un regard décalé sur sa maladie. Des relations sexuelles aux perruques en passant par les nausées ou les causes supposées de son cancer (a-t-elle consommé trop de fromage ou suffisamment de vitamines), l’auteur passe en revue tous les aspects de sa vie quotidienne.

Un optimisme véhiculé aussi par les derniers slogans des associations pour la récolte de fonds pour la recherche: «Un jour, le cancer ne fera plus peur à personne» ou «Bientôt votre médecin vous dira: «Soyez rassurée, Madame, c’est rien, vous avez un cancer» ».

L’expression de la révolte laisse progressivement place à l’acceptation, à une forme de gratitude même. Ecoutons le comédien Bernard Giraudeau, qui avec son livre «Cher Amour» (Editions Métailié), vient de signer un best seller. «Ce n’est pas la maladie qui a frappé à ma porte, c’est la vie. La vie m’a dit: «Maintenant, occupe-toi de moi » (…) Le regard se modifie, on commence à voir, vraiment. De nouvelles pages vont s’écrire. A partir de là, c’est vivable. C’est même très très vivable. C’est même mieux qu’avant. On a beau le dire et les gens ne pas le croire, mais la plupart des malades l’acceptent. Même si la vie doit être plus courte après… (Marie France, juillet 2009).

Dans «La Carte Chance» (Editions JC Lattès) d’Elodie Attias, on retrouve la même marque de reconnaissance. «Le cancer a été un tremplin pour moi, pour mon mieux-être» constate la jeune femme victime, à 23 ans, d’un cancer des os.

Quant à Lance Amstrong, aurait-il gagné le Tour de France sans l’épreuve du cancer? «Ce fut un véritable corps-à-corps avec cette putain de maladie. C’était elle ou moi. Si j’ai gagné sept Tours de France, je le dois en partie aux leçons que j’ai tirées de mon combat contre la maladie » (Paris Match, 25 juin 2009). Il doit au cancer le statut de héro aux Etats-Unis, où les blogs de «cancer survivors» pullulent.

«J’ai connu l’époque où le cancer avait une charge mythique et désignait toutes sortes de fléaux contemporains. On disait que le chômage était le «cancer de la société» parce que ce mal était alors incurable. Les choses ont changé, les traitements existent. En outre, la population est mieux informée. Je suis convaincu que la connaissance est une arme contre le cancer», déclare Francis Larra, président de la Ligue contre le cancer (Sciences et Avenir, juin 2009). Comme l’avait très justement prévu Susan Sontag, elle-même traitée pour un cancer, dans un essai intitulé «La maladie comme métaphore» (Christian Bourgois éditeur), «la métaphore du cancer se périmera avant que la maladie soit comprise et vaincue».

La propension de l’homme à s’emparer d’une maladie pour y greffer ses métaphores les moins innocentes ne date pas d’hier. Peste, tuberculose et syphilis ont été abondamment utilisées métaphoriquement. En 1919, Hitler accusait les Juifs d’être «une tuberculose raciale parmi les nations».

Quelques années plus tard, les nazis assimileront «le problème juif» à un cancer qui appelle «une solution radicale». Ces dernières années, la représentation du cancer comme menace mortelle est en recul. Le sida est venu, un temps, le remplacer alors qu’en ce moment, le spectre de l’épidémie dont le monde se croyait débarrassé refait surface en pleine crise. La grippe porcine générera-t-elle une nouvelle métaphore?

Les mots liés à la maladie peuvent faire très mal. Le français est une langue particulièrement impitoyable: on n’est pas «malade du cancer», comme en allemand, ce qui établirait une certaine distance entre le moi et ce qui se passe dans mon corps. On est « cancéreux», faisant ainsi un avec la maladie. N’oublions cependant pas les oncologues et l’oncologie, des termes moins tragiquement connotés qui se sont substitués aux cancérologues et à la cancérologie.

«Les mots peuvent aussi offrir une thérapie», affirme un laboratoire pharmaceutique genevois qui lance un défi: chasser les tabous et rendre neutres certains mots épineux liés au cancer. Avec «L’Alphabet des mots du cancer», c’est une démarche innovante d’accompagnement des malades à travers le langage qui est tentée. Le dictionnaire vise à mieux informer et à démythifier les mots de la maladie qui font peur ou qui restent opaques pour le patient et ses proches.

Terrifiant pour ceux qui en sont atteints, le mot cancer semble en revanche donner du souffle, des ailes, une motivation à nulle autre pareille, aux bien portants qui courent, nagent, pédalent, escaladent des sommets pour récolter des fonds. Transpirer par générosité, par compassion ou pour conjurer une menace? Que d’exploits accomplis en ton nom, cancer!

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Une version de cet article est parue dans le magazine scientifique Reflex. En vente en kiosques.