LATITUDES

À la recherche de la nouvelle pomme

La saison des pommes a commencé plus tôt cette année avec l’arrivée d’une nouvelle variété, la Galmac, après 23 ans de développement dans la station de Changins (VD). Enquête sur les enjeux du fruit préféré des Suisses.

Il aura fallu vingt-trois ans à la Station de recherche Agroscope Changins-Wädenswil (ACW) pour créer une nouvelle variété de pomme suisse. Croisement entre la Jerseymac et la Gala, la Galmac est vendue depuis août sur les étalages de Coop et dans certaines Migros. Récoltée à la fin juillet, elle arrive à maturité une semaine à dix jours avant la nouvelle saison et concurrence ainsi les variétés d’outre-mer importées faute de fruits suisses. «Du coup, avantage stratégique indéniable, la Galmac est la première pomme de la nouvelle saison», se félicite Danilo Christen, de la Station ACW.

D’où viennent les pommes? Variétés précoces, variétés d’automne et encore variétés de garde (qui peuvent être conservées toute l’année), la pomme reste le seul fruit indigène disponible toute l’année grâce à des récoltes successives qui s’étendent de la mi-août à octobre. Près de 4200 hectares de culture intensive sont répartis principalement dans les cantons du Valais, de Vaud et de Thurgovie et produisent entre 130 000 et 140 000 tonnes de pommes par année. Et c’est sans compter les pommiers en prés-vergers, au nombre de 1 122 000, dont les fruits serviront à des activités de transformation (la fabrication de jus de pomme par exemple).

Les méthodes de culture modernes ont fait disparaître de nombreuses anciennes variétés, mais le choix demeure très varié grâce à une nouvelle sélection qui vient régulièrement compléter l’offre. Au total, plus d’une centaine de variétés peuvent être achetées en vente directe sur les marchés. Seule une dizaine est commercialisée dans les grandes surfaces. «Actuellement, six variétés sont proposées dans nos magasins: la Galmac, la Golden, la Golden Victor, la Gravenstein, la Mairac et la Summerred. Elles proviennent toutes de Suisse, car les importations sont actuellement interdites pour favoriser la production indigène», explique Jérôme Guillemin, responsable à Coop de l’approvisionnement en fruits et légumes pour la Suisse romande. Cette année et durant le mois d’août, la Galmac remplace donc la Gala importée en juillet.

Si les pommes de garde peuvent se conserver jusqu’à l’été, la Suisse n’était jusqu’ici pas à l’abri de rupture de stocks durant les mois de juillet et d’août. Des fruits d’outre-mer étaient donc importés à cette période. «De Nouvelle-Zélande, du Chili ou encore d’Afrique du Sud, c’est entre 5000 et 10 000 tonnes de pommes qui se retrouvent dans nos rayons», comptabilise Rolf Matter de Fruit-Union Suisse (FUS), une interprofession privée des producteurs et des transformateurs de fruits.

Pourquoi une nouvelle pomme? L’arrivée sur le marché de la Galmac change la donne, ce qui plaît aux consommateurs suisses privilégiant la production locale. «L’élément écologique et éthique est de plus en plus pris en compte quand il s’agit de faire un choix parmi une dizaine de variétés de pommes. Il l’est au même titre que le prix, le goût et la variété», analyse Dana Raemy, de la Fédération romande des consommateurs (FRC).

Par année, ce sont 16 kilos de pommes par personne qui sont mangées. Au niveau suisse, Rolf Matter, de FUS, constate une diminution à partir de l’année 2000. «Depuis deux ou trois ans toutefois, la consommation de pommes de table s’est stabilisée», poursuit-il. Une information confirmée par Migros.

De la pomme douce à celle acidulée et de la verte à la rouge, le fruit satisfait tous les goûts. Parmi les préférées des consommateurs suisses se trouve en première position la Golden Delicious (qui est cultivée sur 1274 hectares), suivie par la Gala (471 ha), la Maigold (540 ha), la Jonagold (426 ha) et l’Idared (377 ha). «La Golden Delicious est une bête à produire. Elle se conserve longtemps et un grand pourcentage de consommateurs l’apprécie. Mais les gens se lassent de son goût à la longue», explique Danilo Christen, de la Station ACW. Les quantités commercialisées de Golden Delicious sont donc en constante baisse. Rolf Matter a une autre analyse du phénomène: «Cette variété n’est plus tendance. On a l’impression que les Suisses veulent des variétés rouges et non plus jaune comme la Golden.»

Avec sa robe rouge et sa chair blanche croquante et juteuse, moins acide que la Jerseymac, moins sucrée que la Gala et la Golden, la nouvelle Galmac a donc toutes les chances de plaire. C’est une pomme bien équilibrée au niveau du goût.

Comme elle, des variétés inédites apparaissent régulièrement en Suisse. Environ tous les quatre ou cinq ans, la Station de recherche Agroscope Changins-Wädenswil (ACW), dépendant de l’Office fédéral de l’agriculture (OFAG), présente une nouvelle pomme. Cet organisme a pour but de permettre une agriculture compétitive, durable et respectueuse de l’environnement et d’assurer une production de qualité. C’est un des moyens trouvés par la Suisse pour non seulement contrer les importations, mais également pour produire des variétés toujours plus résistantes aux maladies.

Les pommes préférées des Suisses

Golden delicious
Cette variété de garde s’est répandue dans le monde entier après sa découverte par hasard aux Etats-Unis en 1980. Il s’agit de la pomme la plus cultivée en Europe. Elle est appréciée pour sa saveur douce et peut aisément se cuisiner.

Gala
Sélectionnée en Nouvelle-Zélande en 1934, la Gala contient plus de sucre et moins d’acidité que les autres pommes. Elle plaît particulièrement aux enfants de par sa petite taille: elle tient bien dans la main.

Maigold
Variété de garde sélectionnée en 1964 par la Suisse, la Maigold connaît un grand succès auprès de la population pour sa saveur douce acidulée, son parfum typique et sa longue conservation.

Jonagold
Arrivée en Europe dans les années 70, cette variété est le fruit d’une sélection américaine de 1935. Sa saveur sucrée plaît aux enfants. Une fois coupée, la Jonagold devient rapidement brune, mais se consomme aussi bien crue que cuite.

Idared
Riche en vitamine C, cette variété a toutefois une peau dure et manque d’arôme particulier. Elle a été sélectionnée aux Etats-Unis en 1935 et a supplanté rapidement la Jonathan dont elle est issue.

Comment Changins invente ses pommes?

Chef du groupe de recherche en arboriculture, Danilo Christen explique le long processus de croisement: «Après le choix des parents, il faut récolter les pépins et les laisser germer. On compte 10 000 pépins par an, soit autant de variétés différentes! Toutes ne naîtront pas. Après de multiples tests sur les plantations, seules 3000 variétés, les plus résistantes aux maladies, seront sélectionnées dans l’attente des fruits. C’est seulement au bout de cinq ans qu’on peut croquer dans les 3000 premières pommes. En fonction de leur goût, ce nombre est réduit à 50. Les tests avec nos partenaires européens, qui étudient ces variétés sous d’autres conditions climatiques, et ceux réalisés auprès des consommateurs, prennent de nombreuses années. Au final, il ne reste qu’entre une et trois variétés favorites. Elles sont alors commercialisées par la société Viacom (une spin-off des stations Agroscope, ndlr).» L’agronome n’est pas inquiet quant à l’avenir de la recherche. «Il y aura toujours de nouvelles maladies, et donc de nouvelles variétés à sélectionner et à commercialiser. Nous avons en ce moment 350 pommes et poires en test ainsi que 140 abricots», s’exclame Danilo Christen, qui en viendrait presque à souhaiter un ralentissement.