LATITUDES

Un week-end sans réseau

Que se passe-t-il quand un groupe se retrouve isolé pendant trois jours dans une zone sans couverture de téléphonie mobile? Comportements étranges, découvertes, surprises. Récit d’une expérience vécue.

«Tu connais la nouvelle?» A voir la mine atterrée de Michel, je m’attends au pire. Une annulation, voire un décès.

«Il n’y a pas de réseau!» Une plaisanterie de très mauvais goût, un coup d’assommoir pour l’écrasante majorité des vingt personnes qui arrivent à l’Hôtel du Marchairuz pour ce stage de «Motivation à l’exercice physique». «On aurait quand même pu nous avertir», bougonne Mathieu. «Pas de panique, rassure Raphaël, moi j’ai Bouygues qui s’affiche.» «J’ai déjà essayé, le signal n’est pas assez puissant», ajoute Yves, dépité.

Arrive le patron de l’établissement, Patrick Reymond qui ose confirmer l’info de mauvaise augure: «Effectivement, il n’y a pas de réseau, mais vous avez vu à l’extérieur la cabine téléphonique. Et puis à quelques minutes d’ici, de part et d’autre du col, on retrouve la couverture.» Silence radio… Puis l’évidence: il faudra se résoudre à survivre trois jours «sans».

Certains semblent plus affectés que d’autres. Seules Sophie et Virginie, deux mères de famille, affichent un soulagement palpable. L’explication: leurs maris assumeront enfin seuls la garde des enfants. Ils n’appelleront pas toutes les cinq minutes pour savoir où se trouve ceci ou cela. Pour Adrien, patron d’entreprise, «ce n’est tout simplement pas envisageable, je dois impérativement être joignable». Il se dirige vers sa voiture pour vérifier qu’en direction de St- Georges, «c’est bon» dès le grand virage.

Alors que chacun commente les répercussions personnelles de cet avenir déconnecté, arrive Nathalie, guide du Parc jurassien vaudois, qui va, quelle coïncidence, nous faire découvrir la plus grande colonie de fourmis d’Europe. 1200 fourmilières reliées entre elles par un réseau de 100 kilomètres «d’autoroutes à fourmis». Et nous voilà partis, nous pauvres humains, à la découverte d’un fabuleux réseau réalisé par des fourmis de moins de 10 milligrammes, les «Formica Paralugubris».

A l’heure de la pause, le groupe n’éclate pas sous prétexte d’aller consulter les messages de son portable. Bien mieux: sous les sapins, on cause. Il y a les inconditionnels de Bernard Werber, ceux qui ne l’ont pas lu mais vont s’y mettre, ceux qui jettent un coup d’œil alentour, question de voir s’il n’y a pas quelques champignons.

Retour à l’hôtel pour le repas du soir. Retour aussi à l’époque des files d’attente devant les cabines téléphoniques. Les plus accros au mobile n’y goûtent pas. Ils ont rempli une voiture et rejoint le réseau situé «à moins de cinq minutes», Adrien dixit.

Dans la cabine, au bout du fil, on avertit les proches que — oui, ce n’est pas une blague — l’on est en quelque sorte coupé du monde. Une situation dont on peut tirer profit. Ainsi, Véronique, qui vient de faire la connaissance d’un potentiel nouvel amoureux confie que ce week-end «sans» sera l’occasion de le tester.

François, l’organisateur du stage, qui craignait d’être lynché le premier jour, est surpris par les retombées positives de ce vécu sans l’échappatoire qu’est devenue la téléphonie mobile. Ses exposés ne sont pas interrompus par un concert de sonneries, idem à l’heure des repas, qui se prolongent en causeries stimulantes.

Très rapidement, chacun se réjouit de prendre la mesure de sa dépendance, de sa servitude volontaire. Même Michel qui, complètement déstabilisé au début, admet qu’il s’investit dans le groupe et que «c’est tout bénef pour moi qui ai payé pour être ici et en profiter un max. Je pourrai appeler mes copains au retour.»

A l’heure de l’évaluation, unanimes, les participants reconnaissent le miracle opéré. Grâce à cette déconnexion obligée, ils ont redécouvert la richesse d’une communication en perte de vitesse: adresser la parole à ses proches immédiats.

Les entreprises qui, pour renforcer les liens entre les membres de leur personnel, ont déjà expérimenté les expériences de survie, la pratique de sports extrêmes, la réalisation de projets humanitaires ou les voyages collectifs, feraient bien d’exploiter, pendant qu’il est temps, les séjours en «zones blanches».