Les Suisses fréquentent de moins en moins les salles obscures, au profit du DVD et du téléchargement. Une désaffection massive, qui force les exploitants à inventer des solutions. Panorama.
«Le DVD ne tue pas le film, il tue les salles de cinéma», constate Umberto Tedeschi, collaborateur scientifique chargé du cinéma à l’Office fédéral de la statistique (OFS). C’est l’une des principales conclusions de son enquête sur les pratiques culturelles des Suisses de plus de 15 ans, dont les résultats viennent d’être publiés.
Cette enquête révèle que si les Suisses se rendent encore davantage au cinéma que leurs voisins européens, la fréquentation annuelle moyenne a tout de même diminué de 29% entre 2002 et 2007.
Parmi les motifs invoqués figurent le prix, le manque de temps ou des horaires inadaptés. Mais c’est principalement le visionnage de films en format DVD, la vidéo à la demande ou le téléchargement de films sur internet qui concurrencent les cinémas: 20% des personnes interrogées regardent un DVD au moins une fois par semaine, un taux bien plus élevé que celui de la fréquentation des salles obscures.
«Le public qui visionne des DVD est le même que celui qui sort au cinéma, poursuit Umberto Tedeschi. Il ne voit pas moins de films mais les visionne sur différents types de supports, qui se retrouvent dans une situation de concurrence accrue.»
Une évolution qui inquiète Brian Jones, directeur général de Pathé Suisse: «Bien sûr que les fluctuations de fréquentation des salles et la concurrence du téléchargement nous préoccupe. Notre industrie est principalement dépendante de deux choses, sur lesquelles les exploitants n’ont pas d’influence: la sortie de films à succès et la météo. Lorsque ces deux facteurs nous sont favorables, comme cela a été le cas cette année, dopée par des blockbusters comme «Harry Potter» ou «Ice Age 3», la fréquentation des salles monte en flèche.»
Pour faire face à la concurrence accrue du home-cinema au sens large, le directeur de Pathé Suisse essaye différentes recettes. «Nos proposons des abonnements qui rendent le prix des séances attractifs et qui marchent très bien. Nous tentons également de faire du cinéma un lieu de vie sociale en offrant au public des espaces avec de la musique, des bars et des jeux. Et puis il y a l’arrivée de technologies qui ravivent l’intérêt des gens, comme le 3D, que nous avons lancé cette année.»
Un avis que ne partage pas Marc Pahud, président de l’Association des cinémas vaudois. «Le 3D n’est rien de plus qu’un gadget. On nous l’a déjà présenté une dizaine de fois depuis les années 1950 en prétendant qu’elle allait révolutionner le cinéma. Tous les films ne se prêtent pas à cette technologie! Le vrai enjeu pour les exploitants se situe autour de l’arrivée de la projection numérique. Elle permettra aux indépendants d’avoir accès aux copies de tous les films en même temps que les multiplexes, elle réduira aussi les coûts de manutention et augmentera la qualité. Mais l’investissement, une centaine de milliers de francs, représente un coût trop élevé pour les petites salles. Nous sommes en train de négocier un accord avec l’Office fédéral de la culture afin d’obtenir des subventions pour ces équipements, faute de quoi notre arrêt de mort est signé.»
Si Pathé possède davantage de moyens que les exploitants indépendants pour équiper ses salles de projecteurs numériques, les enjeux n’en sont pas moins importants. «L’arrivée du numérique implique une nouvelle répartition des recettes entre les producteurs, les distributeurs et les exploitants, explique Brian Jones. Tout va se renégocier et pas forcément en faveur des exploitants.»
Malgré ce contexte nébuleux, le groupe Pathé maintient sa stratégie d’expansion dans les grandes villes suisses. «C’est là que nous pouvons encore croître», estime Brian Jones. En effet, si l’enquête de l’OFS indique une baisse de fréquentation annuelle de 30%, le recul est encore davantage ressenti dans les salles des campagnes et des petites villes, où la diminution observée atteint 45%.
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Une version de cet article est parue dans PME Magazine.
