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La crise de la gauche européenne

Ce n’est pas de la victoire des socialistes grecs mais bien de la défaite des socialistes allemands que surgira le renouveau de la gauche. Une politique réformiste ne se conçoit pas sans rigueur morale.

La victoire des «socialistes» grecs, l’un des partis les plus corrompus de la gauche européenne, ne va pas ressusciter la social-démocratie. Au contraire. Même si Georges Papandreou est à l’heure actuelle président de l’Internationale socialiste. Ces Papandreou qui ont fait d’un parti en principe démocratique un fief familial héréditaire ne font que plomber la gauche par leur exemple déplorable.

La dérive du socialisme à la grecque est apparue dans toute son ampleur lors de son dernier passage au pouvoir, quand les fonctionnaires de Bruxelles dénoncèrent la falsification systématique des statistiques des déficits publics par le gouvernement lui-même!

Loin de signifier un embryon de renaissance idéologique de la gauche, cette victoire est à situer dans le contexte très singulier de l’alternance grecque où, depuis des lustres, les familles Caramanlis et Papandreou se font des courbettes électorales et s’échangent des politesses en se repassant le gâteau gouvernemental.

Georges Papandreou va donc refaire un tour de piste gouvernemental, mais sans s’attarder sur la seule réforme qui permettrait à la société civile grecque de gagner réellement son autonomie. Je veux parler de la séparation de l’Eglise et de l’Etat. L’Eglise étant elle-même un Etat dans l’Etat dans la plus pure tradition byzantine. C’est d’ailleurs l’appas du gain de quelques dignitaires religieux qui a fait trébucher le cabinet Caramanlis.

Qu’on le veuille ou non, l’avenir de la social-démocratie se joue en Allemagne, le pays où elle a vu le jour. Le socialisme des pays latins n’a pas (l’aura-t-il jamais?) la rigueur morale nécessaire pour extirper le népotisme et la corruption des rouages intimes de l’appareil d’Etat et de ses servants, les partis politiques et autres organisations paragouvernementales.

Dans les débats sur la crise de la gauche démocratique européenne, on oublie trop souvent qu’elle a commencé avec le dévoiement mafieux du socialisme italien par Bettino Craxi, un dévoiement qui a entraîné avec lui celui du parti communiste, ce colosse qui, comme l’URSS, s’est effondré tel un château de cartes, ne laissant à ses innombrables militants que l’amertume d’avoir été longuement trompés par des dirigeants indignes.

Le prétendu socialisme à la française estampillé Mitterrand n’a pas connu les excès italiens. Mais, tout de même, le bilan de quatorze ans de règne est des plus légers. L’abolition de la peine de mort. Et puis? La libéralisation des radios… la privatisation de quelques télés en faisant appel à Berlusconi pour lancer la 5… Les ronds de jambe culturels de Jack Lang…

La légèreté idéologique du socialisme français a engendré celle de ses dirigeants dont l’opportunisme ne le dispute qu’à la dimension de l’ego de chacun. Du rétablissement des maisons de corrections cher à Ségolène Royal aux coups de gueule d’Arnaud Montebourg contre le secret bancaire helvétique, on perçoit plus un opportunisme électoraliste que l’ébauche d’une volonté réformatrice.

À y regarder de plus près, le passage des socialistes au pouvoir, Jospin compris, aura épuisé la capacité inventive des intellectuels, contraignant les plus brillants d’entre eux (comme le défunt André Gorz) à travailler silencieusement dans leur coin.

La défaite des socialistes allemands, qui n’est une déconfiture qu’en apparence, n’a rien à voir avec le dévoiement opportuniste des socialistes italiens ou français. Elle est au contraire profondément politique. C’est pour avoir imposé des réformes dans le domaine social et le droit du travail que le SPD a perdu les élections et qu’une partie de son électorat a glissé vers l’extrême-gauche ou les Verts.

Ces réformes imposées par le pragmatisme de Schröder ont tenté de répondre à la crise de l’emploi. En les assumant tout en heurtant de front son électorat, le SPD a fait montre d’un courage politique évident.

Dans l’immédiat, le futur gouvernement Merkel II ne remettra pas en question les acquis de ces réformes. Mais il se heurtera aux conséquences, dissimulées jusqu’à maintenant, de la crise financière et vivra des moments difficiles, susceptibles de jeter les masses dans la rue. Normalement usé par une longue permanence au pouvoir, le SPD pourra d’autant mieux se refaire une santé qu’il est concurrencé par un parti écologiste à la pensée et au programme fortement structurés.

Affaiblie, la gauche allemande n’est ni atone, ni confuse mais vivace et combattive. Elle se remettra avant que son homologue française n’ait retrouvé un équilibre. Quant à la gauche italienne, elle navigue entre Charybde et Scylla.