Doris, Pascale, Erika: au rythme où les Trois Grâces — Leuthard, Bruderer, Forster — qui tireront les ficelles confédérales en 2010 sont déjà célébrées, on risque de regretter vite cette conjonction digne d’un improbable alignement astrologique. À savoir la mainmise absolue des femmes l’an prochain sur les strapontins les plus prestigieux — présidence de la Confédération, du Conseil des Etats et du Conseil national.
Mais, en guise de réjouissances, à force d’insister sur le fait que ces importants personnages sont des femmes, on en oublie les qualités remarquables, autres et multiples, avant leur sexe, qui leur ont permis de se hisser vers de si hauts honneurs.
Avec en sus, des clichés paléo-féministes qu’on n’osait déjà plus proférer il y a 20 ans. «Même au perchoir, nous assène Marianne Binder, la porte-parole du PDC, oui même au perchoir, la femme (sous-entendu: et la mère attentive qui sommeille en elle) garde ce besoin de consoler, d’encourager, de donner des impulsions, alors qu’un homme est plus tranchant, plus impératif.» Et préfère, tant qu’on y est, les grosses voitures qui font vroum-vroum et les blondes aux gros seins qui ne disent rien.
La socialiste Maria Roth Bernasconi ne fait guère mieux, ni plus subtil, dans son enthousiasme à propos des femmes politiques: «Plus que les hommes, elles ont appris à jongler avec diverses activités. Alors avec elles pas de bla-bla inutile.» On nage là en plein sexisme. A l’envers, certes, mais en plein sexisme quand même, qui réduit grossièrement le mâle politique à une sorte d’empoté radoteur.
Globalement, pourtant, les chiffres suisses ne sont pas mauvais. Pas encore franchement suédois mais plus du tout saoudien, avec 29,5% de femmes au Conseil national et 21,7% au Conseil des Etats. Certes, les bureaux de l’égalité, ici ou là, se désolent de cette constance: les femmes politiques en activité élèvent rarement des enfants. Soit elles n’en ont pas, ou pas encore, soit ils sont déjà trop grands. Ou alors, comme l’UDC Jasmine Hutter, elles abandonnent leur mandat à la venue de bébé. Tandis que, évidemment, ces messieurs, généralement secondés par des conjointes dévouées, brillent sur les deux tableaux: comme pères de famille, comme hommes d’état. S’en offusquer ne mènera personne bien loin.
Voyez Pascale Bruderer, la future présidente du Conseil national, 32 ans et revenue d’un voyage d’études en Suède des étoiles plein les yeux, après cette vision de rêve: des hommes partout se promenant avec des poussettes. Pas sûr que ce genre d’images et de perspectives soient de nature à rassurer, réveiller, rendre sa créativité et sa confiance à un pays aussi déprimé que la Suisse actuelle.
En réalité peu importe: peu importe qui se trouve derrière la poussette, qui derrière un bureau de ministre. La parité n’a sans doute pas grand-chose à faire en politique, pour la plate raison que la politique appartient à l’irrationnel, à la volonté de puissance, qu’elle n’est dans les faits ni un commerce équitable ni une mathématique sérieuse.
Le Matin s’est ainsi amusé à demander à quelques futées fillettes si ça leur dirait, un jour, d’être cheffe de la Suisse. La réponse la plus structurée est venue d’une petite Lisa, 9 ans, expliquant comme une évidence que cheffe de la Suisse, ça ne l’intéresse pas: «Non, j’ai envie de rester normale.»
Voilà. Normale, ni cheffe, ni chef, bonsoir. Les hommes comme les femmes politiques, de façon exactement pareille, très indistinctement, dans cette anormalité foncière qui leur a fait choisir la politique, ne finissent-ils pas vite par oublier les gens normaux, les comme-vous-et-moi, pour ne plus représenter bientôt qu’eux-mêmes, les anormaux, ces fous qui nous gouvernent? Pardon, ces folles.