LATITUDES

Votre ADN pour traquer vos ancêtres

La société zurichoise iGENEA détermine les origines géographique et historique de ses clients grâce à des tests ADN. La demande explose.

Qui étaient vos ancêtres dans l’Antiquité? Des Vikings occupés à sillonner les mers froides à bord de drakkars? Des guerriers celtes, des Huns téméraires ou des marchands phéniciens? La société zurichoise iGENEA se penche génétiquement sur cette question.

Son site internet affirme que ses tests ADN permettent d’obtenir un «résultat détaillé vous donnant votre peuple d’origine, votre région d’origine et votre haplogroupe», autrement dit le groupe de population existant il y a environ 60’000 ans auquel un individu appartient. «Un échantillon de salive suffit, explique Amanda Felber, directrice d’iGENEA. Pour le test de base, douze marqueurs génétiques sont pris en considération. La personne reçoit ensuite un certificat avec ses résultats et peut les comparer avec une base de données internationale comprenant environ 300’000 entrées. Elle a aussi accès à des données génétiques en rapport direct avec les siennes.»

iGENEA se défend de participer au développement d’une nouvelle forme de recherche sur la pureté d’un peuple ou d’une race: «C’est même le contraire, dit Amanda Felber. Les tests sur les lignées paternelle et maternelle d’un individu révèlent toujours des origines multiples.»

Bien qu’elle pose des questions au niveau scientifique, l’offre d’iGENEA a rapidement trouvé son public, un signe de plus de l’engouement général pour la généalogie observé ces dernières années. Depuis la création de l’entreprise en 2005, son nombre de clients progresse de manière exponentielle: 21 tests effectués en 2006, 1’000 en 2007 et plus de 2’400 en 2008… Des demandes qui viennent de Suisse, des pays voisins mais également d’Asie et d’Amérique latine. Et les clients mettent le prix pour en savoir plus sur leurs origines: les tests coûtent de 159 à 899 francs en fonction de la combinaison effectuée et du nombre de marqueurs étudiés. L’entreprise s’occupe aussi de projets de recherche de descendants de familles célèbres comme les Bonaparte ou les Grimaldi.

Parmi les curieux, Celina, une Bâloise de 47 ans qui s’est récemment découvert des origines finlandaises très lointaines du côté de sa mère par le biais d’un test ADN: «Ma mère est Anglaise, je n’aurais jamais pensé avoir des racines finlandaises. Mais cela explique peut-être certaines choses: je n’ai jamais aimé les climats chauds et je préfère les endroits où le temps est plus frais… Cela me vient peut-être de là.» Pour Celina, ces tests représentent un passionnant voyage sur les traces de son passé. Elle s’apprête d’ailleurs à prendre contact avec des personnes dont le profil génétique s’apparente au sien.

Sur le site d’iGENEA, d’autres clients témoignent: «A ma grande surprise, j’ai appris par le test ADN que je provenais du peuple marin des Phéniciens.» ou encore: «Le résultat a montré que mon pays d’origine du côté de mon père est le Royaume-Uni.»

La précision des résultats d’iGENEA laisse cependant dubitatif Emmanouil Dermitzakis, professeur au département de médecine génétique et développement de la Faculté de médecine de l’Université de Genève. «L’analyse de douze marqueurs spécifiques sur le chromosome Y et l’ADN mitochondrial peut tout au plus révéler qu’un individu provient d’un groupe de population général du style “Europe du Sud » ou “Europe du Nord », mais rien de plus précis», dit le scientifique.

Ce spécialiste de la génétique des populations insiste sur le fait que les populations de l’Antiquité ont été sujettes à de forts brassages et que leurs individus ne possèdent pas toujours des profils génétiques homogènes. Il relève également les difficultés dues au facteur temps. «Pour déterminer avec certitude que le profil génétique d’une personne indique des ancêtres vikings, il faut disposer d’une étude génétique détaillée sur des Vikings décédés, et je ne suis pas sûr qu’il en existe une. On commence tout juste à posséder des données certaines sur les populations actuelles, mais très peu sur celles de l’Antiquité.»

Pour autant, le professeur Dermitzakis ne s’oppose pas à ce genre de tests. «La provenance des ancêtres fascine à juste titre. La communauté scientifique doit réaliser que ce type d’examen est maintenant accessible pour le grand public et doit faire en sorte qu’il reçoive des informations de qualité.» Selon lui, le problème des tests est double: ce qui sera satisfaisant pour un client ne sera pas certain, et ce qui sera certain ne sera pas satisfaisant. «Est-ce que cela vous intéresse vraiment de savoir qu’il y a 10’000 ans, avec une marge d’erreur de plus ou moins 2’000 ans, vos ancêtres sont passés par la Pologne?»

Ce qui le préoccupe, c’est que le public termine déçu par des affirmations basées sur des données peu sûres, qui risqueraient de discréditer le travail des chercheurs. «La généalogie génétique est très prometteuse, tant pour l’aspect purement généalogique que pour celui médical, puisqu’elle permet d’établir des liens entre certaines populations et certains types de maladies. Il me semble donc important de rester conservateur là où nos connaissances sont encore incomplètes.»