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Après l’offense aux musulmans, des actes sur le long terme

Les belles proclamations ne suffisent plus. Et si les cantons opposés à l’initiative anti-minarets donnaient un statut de droit public aux centres islamiques, comme c’est le cas pour les autres communautés religieuses?

On ne porte pas impunément une croix au milieu de son drapeau.

On ne place pas sans conséquences en préambule d’une Constitution acceptée il y a dix ans seulement par 60% des votants la déclaration liminaire suivante:

    Au nom de Dieu Tout-Puissant!
    Le peuple et les cantons suisses,
    Conscients de leur responsabilité envers la Création…

…comme si la Confédération avait été créée de toute pièce, casquée et bottée, par le Dieu Tout-Puissant!

Comment s’étonner dans ces conditions qu’une population profondément imprégnée de christianisme s’oppose à ce que des minarets viennent côtoyer les clochers déjà fort nombreux au milieu de nos villages? En s’incrustant dans les failles de la démocratie directe, les jeunes croisés anti-islamiques de l’UDC ont joué sur du velours en prenant la prétendue pensée unique des élites politiques et religieuses à contre-poil.

Dans leur succès, la xénophobie se mêle comme d’habitude au conservatisme le plus obtus et la bonne conscience d’avoir raison contre tous à la guerre très réelle déclarée par l’Occident à un certain nombre de pays (Palestine, Iran, Afghanistan, Pakistan, Yémen, Somalie…) qui ont tous comme point commun la religion musulmane.

Toutefois, le déplorer ne fera pas avancer la tolérance envers l’islam en Suisse. Même si chacun s’efforce de témoigner que nos musulmans sont civilisés, que leurs femmes sont peu voilées, qu’en somme ils sont d’autant plus «schweizerisch»-compatibles qu’ils ne viennent pas de l’autre bout de la planète, mais seulement des Balkans et de la Turquie.

Le vote anti-minarets, offensant pour les musulmans, nous renvoie directement à une autre page peu glorieuse de notre histoire, celle qui vit, en 1893, une Suisse antisémite s’en prendre à une pratique juive anodine en soi, l’abattage rituel des animaux de boucherie, en acceptant à 60% des votants une initiative ad hoc.

Dans son roman tadalafil overnight delivery, le romancier Charles Lewinsky a magnifiquement restitué l’atmosphère de l’époque. Or cet article indécent n’a été retiré de la Constitution qu’en 1974, malgré toutes les vicissitudes connues par les Juifs au cours du XXe siècle.

Si l’on précise que la Suisse d’aujourd’hui compte environ 18’000 juifs et 350’000 musulmans, on mesure facilement la différence d’échelle dans les sentiments et les peurs ensevelis aux tréfonds de notre imaginaire collectif. Les discours grandiloquents (et souvent hypocrites) sur la nécessité de mieux intégrer les musulmans ne changeront pas grand-chose dans l’immédiat à la dure réalité du refus de faire la place qui leur est due aux adeptes suisses d’une religion qui, que cela plaise ou non, est désormais solidement et durablement établie dans notre environnement.

Plutôt que de creuses déclarations d’intention, il serait plus judicieux que la conférence des chefs de départements cantonaux responsables de l’éducation se mette sérieusement au travail pour développer l’histoire des religions, des mœurs et coutumes, de l’instruction civique dans notre société désormais tributaire de la mondialisation. La course au court terme étant perdue d’avance comme le prouve le résultat du scrutin de dimanche, il s’agit de voir loin, de viser la formation des générations montantes.

Il est un autre défi que pourraient affronter les cantons (BS, GE, VD, NE) opposés à l’initiative anti-minarets. En jouant d’une part sur l’autonomie cantonale et en s’inspirant d’autre part des timides efforts réalisés en faveur du judaïsme, il serait possible d’intégrer officiellement l’islam dans l’éventail des religions quasi (ou para) étatiques. Une fois encore, l’exemple du judaïsme peut servir de référence.

Les cantons étant souverains en ce domaine, ils peuvent accorder un statut de droit public aux communautés de leur choix. Aujourd’hui, quatre cantons (BS, BE, SG et FR) reconnaissent ce statut aux juifs. Développer ce type d’insertion, l’élargir avec éclat aux musulmans serait à coup sûr, mais sur le long terme, une réponse sensée à l’inextricable imbroglio causé par le retour du religieux dans une société par ailleurs de plus en plus laïcisée. Une réponse qui ne manquerait pas de panache, propre à cautériser les plaies infligées dimanche.