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Eloge du pessimisme

large041209.jpgCes dernières années, les rayons des librairies débordaient d’ouvrages de recettes miraculeuses. Des miracles possibles grâce à la «pensée positive», garantissant la santé, le grand amour, la réussite professionnelle et sexuelle, la jeunesse éternelle… Un optimisme démesuré était de mise.

Avant la crise, banquiers, financiers, CEO et managers de hedge funds ne se seraient pas permis une once de pessimisme. Ils croyaient en leurs propres prédictions d’un avenir radieux pour des clients confiants. Tous les acteurs de la crise étaient des optimistes effrénés. On connaît la suite.

«Etre pessimiste est la meilleure des stratégies de survie», rappelle Paul Ormerod auteur de «Why Most Things Fail». Un autre ouvrage atteste d’un changement de paradigme. Julie Norem, professeur de psychologie vient de publier «The Positive Power of Negative Thinking».

C’est un véritable réquisitoire contre le diktat, aux conséquences néfastes, exercé par la très tendance «pensée positive». L’heure est venue de réhabiliter les bénéfices du pessimisme. Mais attention, il y a pessimisme et pessimisme.

«Pessimisme sans espoir» et «pessimisme de défense» doivent être différenciés. Si le premier, qui envisage uniquement la survenue du pire, relève d’un état dépressif, le second est, au contraire, des plus stimulant. Il répertorie tous les scénarios catastrophes pour tenter de les déjouer. Sans illusion donc sans déception!

Quoi de plus désastreux en effet que d’essuyer un échec non programmé? Les autorités fédérales en font l’expérience. Elles se retrouvent aujourd’hui en état de choc; la conséquence de leur optimisme d’hier quant à l’issue du scrutin sur les minarets.

D’autres exemples. Qui, parmi les personnes qui tentent de perdre du poids, y parvient le mieux? Les pessimistes. Une étudede l’Université de Kyoto vient de livrer cette découverte, fruit de recherches auprès de plusieurs centaines de patients obèses. Sur la durée, confrontés à la difficulté de supporter un régime et une discipline de fer, les optimistes craquent alors que les pessimistes qui avaient anticipé ces difficultés parviennent mieux à les surmonter.

Dans certains contextes extrêmes, l’optimisme peut même se révéler mortel. Le phénomène est connu sous le nom de «Paradoxe de Stockdale». Amiral américain, James Stockdale fut prisonnier durant la guerre au Vietnam. Une fois libéré, on lui demanda quels sont les prisonniers qui ont péri en captivité. Sa réponse: «Les optimistes. Ils étaient les premiers à affirmer qu’on serait tous dehors avant Noël. Mais Noël passait. Alors, ils disaient qu’on sortirait avant Pâques. Et Pâques passait. Puis Thanksgiving, puis de nouveau Noël. Et, ils finissaient par mourir de désespoir.»

Même constat dans une étude sur les survivants de catastrophes, «The Survivors Club» de Ben Sherwood. Un des survivants du naufrage de l’Estonia, Paul Barney, pessimiste de nature, y décrit le comportement d’un de ses compagnons de canot de sauvetage. Celui-ci, hyper optimiste, était convaincu de l’arrivée rapide de secours. Sa confiance l’a perdu. M. Positif comme le nomme Barney est mort de froid, faute d’avoir imaginé le pire et mis en oeuvre sa propre stratégie d’évacuation. En revanche, la position de M. Pessimiste lui a permis de ne pas être découragé par la succession d’événements dramatiques.

Plus proche de notre quotidien, c’est la NZZ qui, dans ses pages «Wirtschaft», titre «Stimulierender Pessimismus», «Un pessimisme stimulant» (12 novembre 2009), pour décrire la situation actuelle de la Banque d’Angleterre.

«Le ciel nous préserve des optimistes», implore Mona Chollet dans le Monde diplomatique (septembre 2009). La journaliste y dénonce l’emprise de la pensée prométhéenne et s’interroge. Pourquoi condamner le pessimisme comme une réponse faible et pathétique aux événements mondiaux? N’est-ce pas là une position réaliste?

Avant le prochain Sommet de Copenhague, l’ambiance est au pessimisme. On y évoquera à coup sûr le développement durable, une approche pas assez pessimiste aux yeux de Jean-Pierre Dupuy. Le catastrophisme éclairé que prône le philosophe français dans sa «Petite métaphysique des tsunamis» n’est en rien décourageant mais, au contraire, à même de nous motiver encore davantage à nous montrer à la hauteur des circonstances.

Un pessimiste, c’est un optimiste qui a beaucoup d’expérience. Si le dicton est exact, alors il y a lieu d’être très optimiste quant à l’avenir du pessimisme.