TECHNOPHILE

GreenGT, le bolide électrique suisse sous la loupe

Dans son atelier d’Aclens, la start-up romande GreenGT poursuit le développement de la première voiture de course 100% électrique. Reportage.

L’engin commence à faire parler de lui dans le monde du sport automobile. Encore au stade de projet il y a un an, la GreenGT, prototype de course 100% électrique, a enchaîné les tours de circuit ces dernières semaines. Une révolution que l’on doit à une petite société basée à Aclens (VD), fondée par les deux ingénieurs EPFL Jean-François Weber et Christophe Schwartz (microtechnique et mécanique), ainsi que le pilote Stanislas de Sadeleer, passionné de courses d’endurance classiques.

Vu la taille réduite de l’équipe, qui dispose d’un seul consultant externe (l’ingénieur Trevor van Popering, dix ans chez Honda F1) pour la partie châssis, le résultat actuel tient déjà de la prouesse. «En termes de performances, nous sommes au niveau d’une Ferrari F430 de course, soit l’équivalent d’une voiture de 450 CV pour 1100 kg», explique Jean-François Weber, spécialisé dans la partie mécanique.

Pour parvenir à ce résultat, la GreenGT embarque deux moteurs triphasés synchrones de 2×100 KW linéaires. Le pilote ne pousse pas encore à fond lors des sorties sur circuit car l’équipe veut d’abord fiabiliser totalement la voiture. Mais les simulations en atelier permettent déjà d’y voir clair: «Au banc d’essai, nous montons à 270 km/h avec un étagement de boîte classique. Quant au 0 à 100 km/h, ils est couvert en moins de 4 secondes.» Le moteur électrique a l’avantage de fournir toute sa puissance dès le démarrage, contrairement à un bloc essence qui libère ses chevaux progressivement. Du coup, le couple maximum exploitable se révèle absolument colossal: 2000 Nm! A titre de comparaison, le couple maxi d’une Ferrari F430 culmine à 465 Nm…

Dans l’atelier de GreenGT, tout évoque la passion du sport automobile. Des Porsche de course, des trophées, et au beau milieu de la vaste halle, le prototype électrique. Ainsi posé sur des plots, sans sa coque extérieure ni ses roues, le châssis carbone du véhicule rappelle celui des voitures de course à essence. Pour les connaisseurs: un modèle ATR aux normes FIA 2008, le même qui équipe les Peugeot 908 victorieuses cette année aux 24 Heures du Mans.

Les compères quinquagénaires de GreenGT, qui se financent avec leurs fonds propres, ne comptent plus les heures passées à leur atelier, quasiment jour et nuit, week-ends compris. «Il y a tellement de passion et d’excitation, résume Jean-François Weber. Le fait d’être une toute petite structure nous donne les moyens d’avancer très vite. Quand il faut prendre une décision, tout se passe ici en très peu de temps.»

A la fois concepteurs, mécaniciens, secrétaires et concierges, les fondateurs portent toutes les casquettes et restent seuls maîtres à bord. «Nous avons décidé de ne pas intégrer d’investisseurs institutionnels pour avoir une grande liberté d’action et ne pas subir l’influence de lobbies. Nous savions que cette stratégie nous limiterait en termes de budget mais qu’elle nous offrirait une liberté de choix totale. D’ailleurs, si l’on dispose aujourd’hui d’une voiture qui roule, c’est bien que la gestion de l’entreprise et les choix techniques ont pu s’effectuer de façon très fluide.»

Afin de se concentrer sur l’essentiel (conception, assemblage, mise au point), la start-up sous-traite la fabrication d’un grand nombre de pièces: «C’est l’un des avantages de la région lémanique, nous disposons d’un excellent tissu industriel, avec des entreprises techniquement très au point.»

Championnat européen

Pour rentabiliser l’aventure, GreenGT mise sur trois orientations stratégiques. La première, la plus évidente: réaliser une série de voitures de course pour mettre en place un championnat européen de voitures 100% électriques. Une vingtaine de véhicules seraient achetés ou loués par des écuries. «Nous avons des discussions très avancées avec un grand promoteur de course automobile de renommée mondiale, annonce Christophe Schwartz. En ouverture d’un week-end de compétition prestigieux, on pourrait ainsi imaginer une course de voitures GreenGT.»

Autre objectif: réaliser un prototype capable de courir aux 24 Heures du Mans. «Nous sommes en discussion avec des investisseurs — pas forcément des entreprises du sport automobile — qui souhaiteraient disposer de ce véhicule comme vecteur de communication, poursuit Christophe Schwartz. Nous entretenons par ailleurs de très bons contacts avec l’organisation des 24 Heures du Mans, qui se montre très intéressée. La GreenGT pourrait s’intégrer à une nouvelle catégorie de prototypes électriques, ou alors concourir dans l’une des deux catégories de prototypes déjà existantes.»

Troisième axe pour GreenGT: se positionner comme prestataire technologique pour des solutions vertes. «Nous développons des technologies qui pourront ensuite s’appliquer aux véhicules de grande série. Ce faisant, nous replaçons le sport automobile dans son contexte original. Jusqu’au début des années 1970, le sport automobile générait énormément d’innovations pour les voitures de tous les jours. Aujourd’hui, c’est devenu une impressionnante machine de marketing mais les développements technologiques, notamment en F1, ne se retrouvent plus sur les automobiles de série.»

De leur côté, les grands constructeurs automobiles suivent de près le cas GreenGT et l’idée d’une future petite série commercialisable n’est pas exclue. «Nous venons d’avoir la visite du chef motoriste de Mercedes Sport, annonce Christophe Schwartz. Il a été totalement bluffé par l’avancement de notre projet, compte tenu de notre taille.»

Cinq brevets déposés

GreenGT a déjà déposé cinq brevets pour des innovations, essentiellement au niveau de la transmission, le point fort de la start-up romande. «Du fait du couple très élevé fourni par le moteur électrique, une transmission classique partirait vite en fumée», explique Jean-François Weber. A ce sujet, le roadster californien Tesla, sportive routière électrique sortie en 2008, ne peut exploiter tout le couple fournit par son moteur. Le fabricant a dû fixer certaines limites: lors d’une utilisation intensive sur circuit, la Tesla finit par passer en mode sécurisé pour préserver ses composants et ne délivre ensuite plus que 40% de sa puissance. Une limitation dont les ingénieurs de GreenGT parviennent à s’affranchir. «La transmission est intégralement dessinée et conçue chez nous, explique Jean-François Weber. L’objectif est d’engendrer un minimum de frottement. Au final, la boîte de vitesse gaspille moins de 5% de la puissance moteur, là où une voiture thermique perd entre 20 et 30%.»

Le moteur provient quant à lui de l’industrie de la machine-outil, mais il a subi diverses modifications avant d’être logé dans la GreenGT. Les ingénieurs de la start-up suisse, qui ont effectué beaucoup de recherches pour trouver le moteur idéal, ne souhaitent pas dévoiler son origine.

Au total, le moteur et la transmission de la GreenGT restituent sur la route 90% de l’énergie délivrée par les batteries. Un rendement exceptionnel, très supérieur à celui d’une voiture à essence. En effet, seuls 25% environ du carburant avalé par une voiture à essence est véritablement exploité sur la route, la majorité de l’énergie étant gaspillée en dégagement de chaleur, puis «mangée» par la transmission.

Si l’ensemble moteur-boîte de la GreenGT occupe un volume très réduit, il n’en va pas de même des batteries, qui restent le talon d’Achille du concept. Les 200 kg de batteries lithium-ion embarquées de part et d’autre du cockpit correspondent à 30 kg d’essence en termes d’autonomie.

«Il y a un désavantage pour l’électrique à ce niveau», concède Christophe Schwartz. De quoi tenir tout de même trente minutes sur circuit en situation de course, avant de devoir changer les batteries (une opération qui ne prend pas plus d’une minute). Au cours des prochains mois, GreenGT s’attend toutefois à des progrès sensibles: «Notre fournisseur, le suisse Leclanché, nous a promis des batteries environ 20% plus performantes dans les six prochains mois, précise l’ingénieur. Et d’ici à deux ans, l’autonomie aura vraisemblablement doublé pour atteindre environ une heure.»

Des tonnes de CO2 économisés

En termes de coûts de fonctionnement et de préservation de l’environnement, le duel avec l’essence tourne cette fois très largement à l’avantage du moteur électrique. «Durant les 24 Heures du Mans, une voiture de course consomme en moyenne 2’000 l d’essence et rejette une demi-tonne de CO2, soit 27 t de CO2 pour les 54 voitures engagées», souligne Christophe Schwartz. Face à une telle orgie mécanique, la GreenGT affiche un bilan quasi irréprochable. «Avec 100 m2 de panneaux solaires, soit la surface installée sur le toit de notre atelier, nous rechargeons un pack de batteries en l’espace de six heures. Hormis l’investissement initial de 8’000 francs pour les panneaux, les recharges ne coûtent plus rien par la suite.»

Et même en recourant au secteur, le prix du kilowatt (à peine plus de 20 centimes) permet de recharger complètement les batteries pour environ 6 francs. En partant du principe qu’un pack de batteries tiendra une heure dans deux ans, le budget carburant de GreenGT ne risque pas de plomber les comptes de la société…

Sécurité aux normes CFF

Reste qu’installer un pilote à bord d’un tel prototype impose une rigueur absolue au chapitre sécurité. Lors d’un accident, et sans un maximum de précautions, le conducteur pourrait être électrocuté à bord d’un tel véhicule (le voltage atteint 380 volts), de même que les personnes qui viendraient lui porter secours. Jean-François Weber détaille: «Nous avons imaginé et testé toutes les défaillances possibles, en mettant par exemple des batteries en court-circuit. De plus, contrairement à la configuration de la plupart des véhicules électriques, le châssis de la GreenGT n’est jamais utilisé comme masse. Tout est bifilaire et les câbles que nous utilisons sont aux «normes CFF», c’est-à-dire parfaitement isolés, explique l’ingénieur. Le revers de la médaille, c’est clairement le poids. Comme nous avons sur-sécurisé la voiture, elle est un peu plus lourde que ce que nous espérions au départ, soit 930 kg avec le pilote. Tous ces tests nous ont néanmoins permis de développer et breveter des solutions techniques qui vont pouvoir se décliner sur des voitures électriques routières.»

La passion préservée

Et comme les ingénieurs de GreenGT ne laissent rien au hasard, il fallait encore que le plaisir et la passion automobile survivent au tout électrique. Mais comment rallier les puristes, amateurs de montées en régime rageuses? Mission impossible? Pas forcément, car le bruit de la GreenGT n’est pas dénué de caractère! Son feulement naturel rappelle celui produit par une voiture électrique téléguidée, mais à l’échelle 1/1! A plein régime, l’engin ne passera pas inaperçu sur circuit. Restait à lui donner vie au ralenti: «Nous avons développé un système de haut-parleurs ultralégers pour amplifier le vrai bruit de la voiture, car il n’y avait aucune raison de dénaturer sa personnalité, explique Jean-François Weber. A la sortie des stands, ce système permet que l’on entende la voiture, afin d’assurer la sécurité. Une fois la voiture lancée à bonne vitesse, l’amplification sonore se coupe pour ne pas gaspiller d’énergie.

Pile à combustible

Pour la GreenGT, l’avenir immédiat s’annonce palpitant. Avant, peut-être, que le projet n’entre dans une deuxième phase, encore plus prometteuse. «Comme l’ensemble moteur-boîte, logé à l’arrière du véhicule, s’avère très compact, il reste environ 1m3 d’espace disponible juste derrière le pilote. A terme, nous avons l’intention d’y intégrer une pile à combustible et un réservoir d’hydrogène», annonce Jean-François Weber. Cette technologie permettra de recharger en permanence les batteries et donc d’en embarquer beaucoup moins. L’ingénieur explique: «Une pile à combustible génère de l’électricité de façon permanente. C’est un générateur d’électricité alimenté par de l’hydrogène. Le système fonctionne selon un principe inverse à celui de l’électrolyse: ici, en mettant de l’hydrogène dans de l’eau, vous fabriquez de l’électricité.»

L’avantage de l’hydrogène réside dans sa capacité de stockage: «Une bouteille de 7 kg permet de tenir 24 heures, explique Jean-François Weber. Le hic, c’est qu’une pile à combustible telle qu’on en aurait besoin coûte jusqu’à 600’000 francs, et que ces solutions restent encore expérimentales. Or, nous n’avons pas vocation à être un laboratoire pour des solutions qui n’apparaîtront qu’en 2020. Notre concept consiste à travailler avec des technologies disponibles et abordables. C’est aussi pour cela que nous sommes déjà opérationnels.»
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Chauffage de pneus à l’énergie solaire

Pensé comme un ensemble cohérent, le projet GreenGT ne se limite pas à la propulsion électrique du véhicule. Les développements écologiques investissent également les stands. En plaçant des panneaux solaires sur les toits des semi-remorques des écuries, chaque remorque devient potentiellement une centrale d’énergie renouvelable. De quoi chauffer les couvertures des pneus des voitures de course d’endurance, qui étaient jusqu’ici préchauffés sous une hotte par un flux de gaz chaud émanant de brûleurs. «L’organisateur des courses d’endurance Le Mans Series se montre très intéressé par notre système écologique, assure Christophe Schwartz. Nous avons déjà effectué des tests de validation avec l’équipe OAK Racing Team Mazda France, et tout s’est bien déroulé. Il faut savoir que la consommation de fioul d’un brûleur de chauffe atteint 100 l par voiture durant un week-end du Mans Series. Comme la consommation d’essence moyenne par voiture atteint 700 l durant un week-end, cette simple innovation permettrait déjà d’économiser 12,5% de carburant pour chaque véhicule engagé. Sans parler des économies de CO2, qui représenteraient plus de 70 t par saison.»
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Une version de cet article est parue dans le magazine Reflex.