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Le président Băsescu et le nigaud Geoană

Contredisant les sondages, le peuple roumain a sanctionné dans les urnes l’alliance des nomenclaturistes et des affairistes. Trop sûre de sa victoire, la coalition anti-Băsescu mord la poussière. Tout bénéfice pour la démocratie.

Dimanche soir, les téléspectateurs roumains ont eu droit à un spectacle grotesque et pathétique. Dès la clôture du vote, trois instituts de sondage sur quatre donnaient le candidat de l’opposition vainqueur. Mais dans un mouchoir de poche, avec moins de 3% d’écart. Le quatrième se contentait d’un 50/50. Dans la minute qui suivit, Mircea Geoană, le candidat social-démocrate, envahit les écrans pour s’autoproclamer président élu et s’adresser pompeusement à la nation. Plus modeste, le président sortant se contenta de donner brièvement rendez-vous au lendemain matin, en précisant qu’il était sûr de l’emporter et qu’il ne fallait pas se fier aux manipulations des chaînes de télévision et des instituts de sondage.

Le dénombrement des bulletins de vote lui a donné raison et il l’emporte par 70’000 voix sur 10 millions et demi de votants. Cela ne signifie pas que les sondeurs manquent de professionnalisme. Au contraire. L’institut qui donnait 50/50 travaille pour une télé privée proche de Băsescu. Les deux instituts favorables à Geoană dépendent de deux oligarques propriétaires de télés et de journaux paradoxalement engagés en faveur du candidat prétendument de gauche. Le dernier enfin travaille pour la télévision officielle notoirement favorable à Geoană. Moralité: dans un pays où, vu la crise, les places sont chères, les sondeurs se sont «trompés» sur ordre de leurs commanditaires tout en donnant des fourchettes suffisamment étroites pour entrer dans les marges d’erreur admises et sauver ainsi leur honneur.

Celui qui n’est pas à la fête au lendemain du scrutin est le «nigaud» Geoană. Ce qualificatif lui vient de l’ancien président Iliescu qu’il avait chassé de la direction du PSD (parti social-démocrate) il y a quelques années. Après avoir caracolé largement en tête des sondages ces derniers mois, il s’est effondré dans les derniers cent mètres en commettant quelques erreurs qui prouvèrent aux électeurs qu’il était toujours digne de son père, un général de la Securitate, mêlé aux événements de 1989.

Il y a une dizaine de jours, on apprenait que le candidat avait fait une discrète visite à Moscou. Interrogé sur le contenu de ses entretiens, il refusa de répondre. Or les Roumains ont historiquement de bonnes raisons de se méfier de toute allégeance à la Russie. Ensuite, le 1er décembre dernier, jour de la fête nationale, il organisait un grand meeting sur la place de l’Opéra de Timişoara, haut-lieu de la révolte de 1989 contre Ceauşescu. Les habitants de la ville virent rouge et chassèrent l’intrus qui dut s’esquiver par une porte dérobée pour éviter insultes et cailloux.

Enfin, à quatre jours du scrutin, le nigaud passa sa soirée chez un oligarque honni, magasinier sous Ceauşescu aujourd’hui milliardaire en euros, probablement pour le rassurer à propos de l’arrestation la veille d’un de ses sbires à Djakarta. Le lendemain au président Băsescu qui, lors du seul grand débat télévisé organisé pour le tour final, lui demanda si la soirée avait été plaisante chez le monsieur en question, Geoană, pétrifié, ne sut que répondre. Ainsi s’effilochent les majorités virtuelles en ces temps puissamment médiatisés. Exit Geoană. Les ex-communistes, ex-néocommunistes, néo-sociaux-démocrates vont devoir se trouver un nouveau leader. Leur tâche sera rude tant leur font défaut des dirigeants moralement présentables.

Du côté du vainqueur, les choses ne se présentent guère mieux. En cinq ans, Băsescu a suscité une telle haine dans la classe politique que son isolement est total. On a même l’impression que ses propres amis politique du PD-L (parti démocrate-libéral) aimeraient bien le voir tourner les talons. Ni les uns ni les autres ne supportent son obstination à mettre des limites à la fringale corruptrice des élites. Pour la génération actuellement au pouvoir, l’heure est toujours à l’accumulation primitive et violente des richesses générées par l’Etat ou son service. Or Băsescu (même s’il ne rechigne pas à caser sa fille au parlement européen) est un empêcheur de voler en rond.

L’autre obsession démocratique du président roumain est sa volonté de réformer l’appareil de l’Etat, de réduire le poids de la bureaucratie (donc du 1,5 million de fonctionnaires en place), de resserrer les rangs les plus élevés de la hiérarchie politique, à commencer par les parlementaires. Il y a deux semaines, il avait de son propre chef doublé le premier tour de la présidentielle d’un référendum limitant à 300 le nombre des députés dans un parlement désormais unicaméral. La proposition a été plébiscitée par quatre électeurs sur cinq.

Sa faiblesse reste son manque de majorité parlementaire hier comme aujourd’hui. Le 24 novembre dernier, au soir du premier tour de la présidentielle, il notait que la droite libérale (partagée en deux partis, le sien et le parti national libéral) avait une évidente majorité. Mais la direction du PNL choisit de s’allier avec Geoană. La défaite va les faire réfléchir et certains barons libéraux préparent déjà leur passage dans le camp présidentiel. Représentants les milieux de la finance et des affaires, ils ne peuvent, par nature en quelque sorte, se tenir à l’écart du pouvoir pendant les cinq prochaines années. Mais supporteront-ils un programme de réformes efficaces? La question est ouverte.