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Ils ont voté sur les minarets, et puis après?

large101209.jpgIls ont voté et puis après? Cette rengaine de Léo Ferré pour stigmatiser le vide politique sous le gaullisme triomphant connaît un regain de vigueur chez nous, aujourd’hui. Avec ce gros doute qui s’installe entre deux initiatives UDC — l’une advenue sur les minarets et l’autre à venir pour l’expulsion des délinquants étrangers. Un doute sur la valeur du scrutin populaire en tant que tel. Sur la valeur de la démocratie. Très symptomatiquement, les médias commencent à parler, avec un léger dédain dans la voix, de démocratie du nombre. Comme s’il en existait beaucoup d’autres.

Poussée par des sirènes étrangères amicales (genre Cohn-Bendit) ou franchement hostiles (désormais l’ensemble quasi entier du monde musulman) l’idée fait son chemin d’une invalidation du fameux vote anti-minarets. La même question se pose déjà pour la provocation suivante de l’UDC: faut-il d’avance annuler l’initiative sur le renvoi des délinquants étrangers, sans lui laisser sa chance dans les urnes, au prétexte qu’elle contredit, elle aussi, un certain nombre de dispositions internationales?

Le débat peut sembler cornélien: annuler un verdict du peuple, c’est toucher à la nature même du système suisse, c’est bafouer les principes intangibles de la démocratie universelle. C’est aussi tomber droit dans le piège tendu par l’UDC. Freysinger et compagnie rêvent à haute voix d’un scénario qui verrait la Suisse, fouettée par des tribunaux internationaux, vilipendée par des juges étrangers, faire soudain marche arrière et décider que le oui du 29 novembre est en réalité un non. Ou que, puisque ce oui ne nous convient pas, il faudrait revoter, jusqu’à obtenir le précipité voulu: non. Trois fois, cent fois non.

Carton alors assuré de l’UDC aux prochaines élections. Plus encore en cas de mise au rancard de l’initiative sur le renvoi des délinquants. Le bon peuple prend vite la mouche lorsqu’il entend invoquer les droits de l’homme au service et bénéfice de la crapule. L’exemple emblématique brandi par la gauche — celui d’un petit fraudeur à l’aide sociale qui serait renvoyé dans un pays d’origine en guerre et pratiquant la torture — frise la malhonnêteté, tant il est extrême. Chacun comprend qu’il s’agit, généralement, de tout autre chose. D’actes de grande violence, de basse cruauté.

D’un autre côté, comment laisser l’UDC vendre, promulguer des dispositions qui révulsent tout honnête homme, heurte la saine raison, piétine le droit international, pratique les raccourcis, l’amalgame et l’anathème? Entre respecter la démocratie et la protéger, il semble y avoir une étrange antinomie: oui le débat paraît inextricable, la difficulté impossible à trancher.

Vraiment? Ne serait-ce pas plutôt que les capacités de réflexion et le goût des responsabilités se sont comme mystérieusement dilués, évaporés? Par paresse, manque de talent ou de courage politique peut-être?

Est-ce en effet réellement trop demander à un gouvernement fédéral, à une coalition représentant 70% des électeurs, à cette droite bourgeoise, à cette gauche démocratique, aux manettes depuis un demi siècle, que de faire front? De répondre aux provocations populistes de l’UDC par la conviction, l’intelligence, le travail de sape, et même une bonne dose de machiavélisme? Bref, de faire de la politique plutôt que de la morale ou du juridisme?