Y a-t-il quelque chose de plus intime que ses propres entrailles? Un enfant dans le ventre de sa mère a-t-il un droit sur l’utilisation de son image publique? La diffusion, de plus en plus courante, des images d’échographies sur internet — par e-mail généralisé ou sur des profils Facebook — franchit une nouvelle étape dans l’exposition publique d’une dimension particulièrement privée de la vie d’une future mère et d’un couple.
Inimaginable il y a peu, cette pratique devenue rapidement usuelle choque certains destinataires mais ne surprend pas les sociologues. «Aujourd’hui on expose sa sphère privée de manière plus large qu’auparavant, notamment parce qu’on essaie de se donner une touche d’originalité que les autres copient ensuite rapidement», constate Gianni Haver, professeur de sociologie de l’image à l’Université de Lausanne. Il rappelle cependant que la société a toujours joué sur des événements privés à façade publique. «De la même manière, le fait d’exposer des draps tachés après la nuit de noces servait à montrer qu’une union allait dans le bon sens, maintenant on donne une preuve par les ultrasons que l’union d’un couple suit la bonne direction.»
Utilisée en obstétrique depuis les années 1970, l’échographie est devenue un élément indispensable au suivi d’une grossesse. Codirectrice d’une recherche sur le sujet, Claudine Burton-Jeangros, professeure associée de sociologie à l’Université de Genève et spécialisée en sociologie de la santé, constate cependant un changement dans la perception de cette technique d’imagerie. «Longtemps, l’échographie était liée à la pratique médicale. Mais pour certains parents elle a pris un caractère récréatif et l’enjeu médical passe au second plan.»
Les progrès dans l’utilisation des ultrasons ont aussi dopé le phénomène. «Avec l’échographie tridimensionnelle, on n’obtient plus un profil mais quasiment une photo du visage de l’enfant», relève Yvan Vial, médecin chef du service d’obstétrique et responsable de l’unité d’échographie du CHUV. L’échographie reste un outil diagnostique, mais si l’enfant est bien positionné, le résultat devient photogénique et particulièrement émouvant. «Notre société valorise tellement l’image, n’est-il pas logique que les futurs parents veuillent partager celles qu’ils ont de leur bébé?», interroge le spécialiste.
Pour Annik Dubied, professeure associée de sociologie à l’Université de Genève, la tendance à transmettre à ses amis les images de son enfant pas encore né ramène l’échographie à un statut très proche d’une photographie classique. «Personne ne s’étonne de recevoir des photos d’un bébé par e-mail. De la même façon l’échographie ne devient pas plus étonnante que cela, peu importe que l’image soit prise à l’intérieur d’un ventre.»
Mais qu’en est-il du droit de l’enfant à disposer de sa propre image? «Pour qu’on puisse invoquer une atteinte à ce droit, il faut que l’image permette d’identifier la personne représentée, répond Vanessa Chambour, avocate spécialisée dans le droit à l’image. Dans le cas d’une échographie en deux dimensions, c’est impossible, et lors d’une échographie en 3D cela me paraît très difficile, voire impossible.»