«Si vous le souhaitez, vous pouvez fermer les yeux. Comme vous préférez.» D’une voix douce, Maryse Davadant, infirmière spécialisée aux soins intensifs, s’adresse à sa patiente, installée dans un fauteuil à ses côtés. Elle ne s’apprête ni à changer un pansement ni à désinfecter une plaie: dans ce petit box blanc de l’hôpital universitaire de Lausanne, une séance d’hypnose se prépare.
«Je vous propose de prendre ce moment pour être un peu plus en contact avec vous», poursuit la soignante. Après quelques minutes, la patiente — selon son propre feedback — se sent parfaitement détendue. Ailleurs et présente à la fois.
Utilisée comme méthode de relaxation ce jour-là, cette technique est utilisée tous les jours dans des cabinets médicaux pour traiter des maux psychiques et physiques. Malgré les croyances populaires, influencées par les numéros de spectacle et autres serpents aux yeux spiralés, les scientifiques sont formels: l’hypnose n’a rien d’ésotérique ni de mystificateur. Au même titre que la chirurgie ou les médicaments, elle est un outil thérapeutique que de plus en plus de médecins utilisent pour aider leurs patients à affronter des phobies, à se libérer d’une dépendance, à traiter des troubles sexuels ou une allergie.
Son efficacité est aussi largement reconnue pour soulager la douleur. Au CHUV, Maryse Davadant y recourt régulièrement pour calmer les grands brûlés. «La douleur qu’ils ressentent, notamment lorsque l’on change leurs pansements, est d’une extrême intensité, explique-t-elle. Ils reçoivent de la morphine, mais, selon l’ampleur des blessures, le médicament ne les apaise pas suffisamment.»
Formée aux techniques hypnotiques depuis près de cinq ans, l’infirmière propose à cette catégorie de patients de s’essayer à l’hypnose. «Nous avons mené une étude pendant une année afin de comprendre s’il est utile d’utiliser cette pratique. Les résultats attestent que les personnes ayant bénéficié de séances d’hypnose, en complément aux traitements traditionnels, nécessitent des doses inférieures d’antalgiques. Ils cicatrisent également mieux et plus vite. Par ailleurs, leur séjour à l’hôpital est réduit et, de manière générale, ils ressentent moins d’anxiété au cours de leur traitement.» Ces bienfaits se résument aussi en une économie financière estimée à près de 20’000 francs par patient.
Mais comment de simples mots peuvent-ils réduire une douleur? Ces mots, choisis et adaptés à chaque situation par le professionnel, vont d’abord conduire le patient en un état dit «de transe» ou «de conscience modifiée». Cet état hypnotique n’a rien d’extraordinaire: il peut survenir naturellement chez quiconque lorsque l’attention se concentre pendant un laps de temps sur un certain point. «En conduisant, par exemple, nous sommes concentrés sur la route; si la situation devient monotone — sur l’autoroute par exemple — notre esprit va finir par penser à autre chose tout en restant extrêmement vigilant.»
Différents signaux, tels qu’un ralentissement de la respiration, de la tension artérielle et de la fréquence cardiaque, indiquent au soignant que le patient est sous hypnose. «A ce moment-là, il faut détourner son attention de la douleur en la focalisant sur des sensations plus agréables dans d’autres parties de son corps. Il est également possible de lui faire se remémorer des souvenirs ou des lieux rassurants et confortables. Au final, l’objectif est de parvenir à transformer sa perception de la souffrance.»
Malgré la racine grecque «hypnos» qui signifie «sommeil», le sujet hypnotisé ne dort pas. Au contraire. «C’est un état d’hyper-éveil pendant lequel le patient va élargir son champ de conscience, note Gérard Salem, psychiatre et coauteur de l’ouvrage «Soigner par l’hypnose». Accompagné par le thérapeute, le patient va être capable d’aller puiser dans des ressources qu’il a en lui, mais dont il ignore l’existence. Ce sont ces capacités inconscientes qui vont l’aider à aller mieux ou à gérer une douleur.» En d’autres termes, le malade va guérir grâce à ses propres moyens.
Pour comprendre ce phénomène, la neuroscience se penche, grâce aux nouvelles technologies, sur les effets de l’hypnose sur le cerveau. En Suisse, le Laboratoire de neurologie et imagerie cognitive de l’Université de Genève (LabNic) s’est particulièrement distingué en mettant au jour des mécanismes cérébraux spécifiques à cet état mental. «A l’aide de l’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRM), expliquent Yann Cojan et Lakshmi Waber, respectivement docteur en neurosciences et psychiatre, nous observons l’activité cérébrale de volontaires placés sous hypnose et la comparons à celle de personnes qui se trouvent dans un état normal.»
Pour l’instant, aucun marqueur ne permet de distinguer un cerveau en état de transe d’un autre qui ne l’est pas. «C’est uniquement lorsqu’un geste ou une pensée est suggéré que l’on constate une différence. Lors de nos expériences, nous avons par exemple suggéré à nos sujets une paralysie de leur bras gauche.» A travers leur analyse, les chercheurs ont constaté un état d’hyper-contrôle cognitif chez les personnes sous hypnose. «Les sujets devaient appuyer au plus vite sur un bouton lorsqu’ils apercevaient une main de couleur verte mais ne devaient pas bouger si celle-ci apparaissait en rouge. Chez les non-hypnotisés, la partie cérébrale qui freine le mouvement s’activait uniquement lorsque le signal était rouge. Par contre, sous hypnose, cette région était active tout au long de l’expérience.» L’hypnotisé est donc très attentif et conscient de ses actes.
Cette découverte balaie l’idée répandue que le patient devient un pantin obéissant à l’hypnotiseur. Les scientifiques parlent même de «gain» et non de «perte» de contrôle. «On lui redonne la maîtrise sur des sensations qu’il pensait ne pas savoir gérer ou canaliser, estime Lakshmi Waber. D’où son utilité en cas de phobies ou d’angoisses par exemple.»
Sur ce même principe, une personne peut aussi participer activement à une opération effectuée sur son corps: depuis le début des années 1990, l’hypnose est utilisée, dans certains cas, à la place d’un anesthésiant. A la pointe dans ce domaine, le Centre hospitalier de Liège (Belgique) a déjà pratiqué plus de 4000 interventions chirurgicales (greffes osseuses, pose de prothèses mammaires, thyroïdectomies, etc.) grâce à la technique d’hypnosédation. Le patient hypnotisé n’est pas anesthésié, mais reçoit simplement un tranquillisant. Sa récupération postopératoire sera plus rapide et moins douloureuse. Tous les types de thérapie impliquant l’hypnose peuvent, en principe, fonctionner sur chacun. «Un échec s’explique généralement par une erreur commise par l’hypnothérapeute, estime Gérard Salem. Le patient doit aussi faire preuve de motivation.»
Mais l’hypnose présente aussi des contre-indications à ne pas négliger. «Il faut faire preuve de prudence avec un patient dépressif suicidaire, rappelle le psychiatre. Cette thérapie peut l’aider à retrouver une joie de vivre, mais risque aussi de faciliter un passage à l’acte s’il ne se sent pas en confiance. Une schizophrénie peut aussi être aggravée. Mais dans ces différents cas également, l’expérience du thérapeute joue un rôle primordial.»
A l’heure où une nouvelle formation est proposée aux professionnels de la santé (lire encadré), l’hypnose gagne en reconnaissance. «Cette méthode n’est pas infaillible et ne résout pas tous les maux de la terre, estime Maryse Davadant. Il faut simplement savoir qu’elle existe et que, dans de nombreux cas, elle peut aider à guérir, à se relaxer ou simplement à aller mieux.»
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Un certificat unique au monde
Une formation académique à l’hypnose vient d’être inaugurée en Valais: les titulaires d’un diplôme professionnel dans les domaines de la santé, du travail social et de l’enseignement peuvent dès à présent obtenir un certificat en études avancées (CAS) en «Art et techniques hypnotiques dans les domaines de la santé et du domaine social». «C’est une première mondiale, se réjouit Eric Bonvin, président de l’Institut romand d’hypnose suisse (Irhys). Jusqu’à présent, notre fondation formait les soignants à cette pratique et leur délivrait une attestation.»
Né d’une collaboration entre la Haute Ecole spécialisée de Suisse occidentale, l’Hôpital du Valais et la fondation Irhys, ce nouveau certificat marque un tournant dans la pratique de l’hypnose. «Grâce à cette reconnaissance, tous les soignants ayant suivi cette formation seront officiellement légitimés à recourir à l’hypnose», estime le psychiatre. La première volée compte une cinquantaine de participants.
Pour le public, Irhys organise également dans divers cantons romands des stages d’initiation à l’auto-hypnose. Au cours d’une soirée ou de week-ends, tout le monde peut découvrir cette expérience pour se détendre ou calmer divers symptômes.
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L’hypnose en 6 dates clés
1779: Le médecin autrichien Franz Anton Mesmer publie son Mémoire sur la découverte du magnétisme animal. Ses pratiques sont à l’origine de l’hypnose. En anglais, «to mesmerize» signifie encore aujourd’hui «hypnotiser».
1843: L’histoire attribue au chirurgien James Braid l’invention du terme «hypnose».
1882: À Paris, l’Ecole de la Salpêtrière et notamment le neurologue Jean-Martin Charcot réhabilite l’hypnose comme sujet d’étude scientifique.
1917: Après s’y être intéressé pendant de nombreuses années, le célèbre Sigmund Freud discrédite cette pratique en déclarant que «la psychanalyse date du jour où on a renoncé à recourir à l’hypnose».
1930: Le psychiatre américain Milton Erickson publie son premier article sur le sujet. L’ensemble de ses recherches contribuera au développement et à l’essor de l’hypnose contemporaine.
1992: Le Dr Marie-Elisabeth Faymonville du Centre hospitalier universitaire de Liège utilise pour la première fois l’hypnosédation, devenant ainsi la pionnière dans le recours à l’hypnose en anesthésie.