KAPITAL

Islande: l’ère post-McDonald’s

L’emblématique géant du fast-food a quitté l’île aux volcans, en proie à de graves difficultés économiques. Comment les Islandais survivent-ils à cet abandon? Reportage.

McDonald’s l’a fait. Le 31 octobre dernier, l’empire du fast-food fermait ses trois restaurants implantés en Islande, l’un des pays les plus touchés par la crise économique et financière. L’enseigne bien connue importait l’essentiel de ses produits d’Allemagne. La dépréciation de la couronne islandaise aurait fait du Big Mac islandais le plus cher du monde. D’où la décision de se retirer; l’Islande rejoignant ainsi l’Albanie, la Bosnie et l’Arménie, les seuls pays européens sans fast-food aux deux arches jaunes.

On a pu lire dans la presse européenne que «des centaines de consommateurs avaient envahi ces lieux pour déguster une dernière fois les célèbres hamburgers». «C’est vrai, il y a eu des embouteillages ce jour-là. Mais la plupart des personnes ne venaient pas déguster, la larme à l’œil, leur dernier hamburger mais leur premier, par curiosité, avant qu’il ne soit trop tard», précise le secrétaire de la Fédération d’échecs islandaise. Ses bureaux étaient à portée de nez des odeurs de friture de la marque américaine aujourd’hui remplacée par le fast-food «Metro».

Seule l’enseigne a changé. Les odeurs et la qualité de la nourriture restent les mêmes, selon mon interlocuteur, qui vient de mettre en vente sur eBay les reliques du Championnat du monde d’échecs tenus ici en 1972. Sans la crise, ses enveloppes estampillées, tickets invendus et caricatures auraient continué à dormir dans de vieux cartons.

Quelques pas sur un trottoir verglacé et me voici à même de vérifier l’exactitude des critiques entendues. Oui, le fantôme de McDo est omniprésent en ce lieu passé en mains islandaises et rebaptisé «Metro». Une appellation qui n’est pas du goût des locaux. Dans un hebdomadaire annonçant son ouverture, on lit: «Ce mot n’est pas islandais, il n’a aucune signification dans cette langue, ça lui donne un air de sophistication internationale.»

Je commande un Metro Meal composé uniquement de produits insulaires. Tout sauf experte en la matière, je confesse ne pas saisir de véritables nuances avec les Happy Meal. «Allez au Hlölla Batar», me conseille une jeune cliente. «Vous verrez, c’est mieux». Je m’y rends.

«Etes-vous content du départ de McDo?» Je pose la question au vendeur de hamburgers à base de viande de mouton installé en plein centre ville. «Cela ne me fait ni chaud ni froid. Nous étions là bien avant eux. On a ouvert en 1986, eux sont arrivés en 1993.» En tête de liste de ses hamburgers-maison, le New York Bàtur!

Viande de mouton ici, viande de baleine un peu plus loin. Trente-huit de ces mammifères marins ont en effet fini récemment sur le marché local sous forme de steaks. L’absence de bœuf chez McDo ne contraint pas au végétarisme. «On n’a pas de McDonald’s mais… viande d’agneau, de mouton ou de renne, perdrix des neiges ou oiseaux de mer seront accommodés à toutes les sauces pour apporter des sensations nouvelles à votre palais», dédramatise un site touristique.

Moins emblématiques que McDonald’s, bien d’autres entreprises ont fait leurs valises. Ainsi, le plus haut des immeubles de la ville n’est éclairé qu’au niveau de son avant-dernier étage. Une tour elle aussi fantomatique, tout comme les nombreux quartiers résidentiels en cours de construction. Des milliards d’euros ont étés investis ici. Quatre milliards d’entre eux font en ce moment l’objet d’une véritable saga. En raccourci: le parlement souhaitait rembourser les déposants britanniques et hollandais. Une pétition réunissant 60’000 signatures (sur 300’000 habitants) a amené le président à y mettre son veto et à soumettre la question à référendum d’ici au mois de mars prochain.

Dans les bars fréquentés presque exclusivement par les locaux (Reykjavik n’est plus la destination tendance des jeunes européens friqués), les débats sont passionnés et passionnants. Qu’il ferait bon se débarrasser de cette dette, oublier ce triste épisode de bulle financière qui explose! Repartir de zéro, devenir autosuffisant en matière énergétique grâce aux nombreuses ressources naturelles, se recentrer sur les valeurs sûres que sont l’industrie de la pêche et le tourisme.

En hiver les touristes sont rares en Islande, même des prix au plancher (Reykjavik est actuellement la destination la moins chère d’Europe, avec pour 340 euros, un vol au départ de Paris et 4 nuits d’hôtel) ne les convainquent pas de renoncer au sable chaud des plages pour les longues nuits polaires. Ils n’ont assurément pas lu «Please yoursELF, Sex with the Icelandic invisibles», un petit manuel publié par Hallgerthur Hallgrimsdottir. Une jeune femme qui, après de riches expériences de copulation avec des elfes, nous incite à l’imiter. Leurs adresses ne se trouvant pas sur facebook, une carte de géographie signale les lieux de rencontre possibles. Sa conclusion: le sexe avec les humains est ennuyeux.

La saga continue avec des Islandais résolus à ne plus succomber au sourire béat de Ronald Mac Donald et à revenir aux trolls et aux elfes.