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Il souffle un petit vent mauvais sous la Coupole

Avec une initiative visant à supprimer le remboursement de l’avortement et un Conseil fédéral hors-la-loi pour avoir cafté auprès du fisc américain, le pouvoir politique offre de réjouissants spectacles. Explications et analyse.

Il souffle un petit vent mauvais sous la coupole et c’est un peu la faute du décoiffant Peter Föhn. Le député UDC de Schwytz, appuyé par une collègue PDC de Soleure, Elvira Bader, deux ou trois égarés radicaux, ainsi que le parti évangélique (PEV) et l’UDF, a eu une idée bien téméraire: sortir, par voie d’intitiative, l’interruption de grossesse des prestations de la Loi sur l’assurance maladie (Lamal). Les femmes qui estiment un jour vouloir ou devoir avorter seraient donc priées d’y penser bien avant et de souscrire à cet effet une jolie assurance complémentaire.

Le plus curieux est le malaise et l’étonnement que manifestent l’UDC et le PDC devant ces francs-tireurs issus de leurs rangs. Deux formations pourtant, l’UDC et le PDC, qui aiment jongler d’ordinaire avec les thèmes de société un peu faisandés, histoire de flatter les franges âgées, campagnardes et conservatrices de leur électorat.

Or là, même les opposants de principe à l’IVG, comme le député PDC Reto Wehrli, renâclent, trouvent des arguments pour contester cette initiative soulevant «des questions au niveau de l’égalité de traitement entre les personnes qui pourraient financer une interruption de grossesse et les autres».

Même accueil glacial dans les rangs de l’UDC. «Les avortements ne posent pas de problème en terme de coûts. Il ne faut pas mélanger l’éthique et la politique», estime par exemple le Zurichois Jürg Stahl. D’ailleurs, Föhn lui-même reconnaît être guidé par des «considérations éthiques et morales» plutôt que strictement financières.

Et c’est bien cela qui semble ne plus passer, même auprès de ces deux partis pourtant grands donneurs de leçons en matière de moeurs. On serait d’accord de ne plus rembourser l’avortement parce qu’il grèverait les caisses publiques mais en aucun cas parce qu’avorter, «cela ne serait pas bien».

Le peuple a d’ailleurs plébiscité en 2002 par 72% des voix la décriminalisation de l’avortement durant les douze premières semaines. Une telle unanimité était encore impensable quelques années plus tôt. On peut supposer que les motivations de ce changement de cap ne sont pas toutes pures, lumineuses, et sainement féministes mais reposent aussi en bonne partie sur des arrière-pensées égoïstes et hédonistes. Celles de l’animal contemporain tenant à accomplir avec le moins d’entraves possibles — et quel frein plus pénalisant qu’un enfant indésirable? — sa petite course vers le néant.

Aussi, traiter de «fondamentalistes», comme le fait Maria Roth Bernasconi, ceux qui refusent de «cofinancer» via la Lamal une pratique qu’ils désapprouvent, ne mène pas à grand-chose. Sauf à révéler une pensée lestée par des pesanteurs idéologiques et une intolérance peu glorieuses.

Et puis, que répondre à la vice-présidente du PEV genevois Valérie Kasteler, affirmant non sans raison qu’être enceinte n’est pas une maladie et que donc l’avortement n’a pas à être remboursé par l’assurance de base?

Pour autant, l’initiative n’obtiendra probablement pas l’appui des partis ni le nombre nécessaire de signatures, et ce pour de bonnes et justes raisons: le droit n’est pas affaire de morale ni de conviction, mais de contrat. Un argument bassement terre à terre suffit ainsi à tout emporter: ne plus rembourser l’avortement, ou l’interdire purement, n’en diminue en rien le nombre mais rend la pratique plus périlleuse. Position propre à réunir à la fois les individualistes forcenés, les sourcilleux défenseurs du bien commun et les progressistes de principe.

Une autre affaire — l’interminable feuilleton UBS — dévoile aussi crûment ce réalisme obtus et obstiné du droit, porteur d’une vérité momentanée au service d’intérêts puissants, précis et majoritaires: pour avoir voulu tellement verrouiller juridiquement le sacro-saint secret bancaire, le Conseil fédéral, se retrouve lui-même hors la loi après avoir fourni, via la FINMA, quelques malheureux noms de vilains tricheurs au fisc américain.

Le droit, on le constate, est une mécanique aussi efficace qu’infernale. Capable de décréter à la semaine près la légalité d’une interruption de grossesse, mais incapable de laisser un gouvernement démocratique démasquer des tricheurs fiscaux. A tout prendre, pourtant, qui souhaiterait — et c’est là que le consensus intervient, que force est donné à la loi — vivre dans une société inverse? Une société où il serait également et totalement impossible d’avorter et de frauder le fisc?