Le bon peuple, d’abord, s’est mis en colère. Le bon peuple n’a pas supporté les déclarations de l’otage suisse libéré, Rachid Hamdani. Un otage qui s’empressait de remercier les Libyens — ils l’auraient bien traité — et de critiquer les autorités suisses — elles l’auraient surtout mis dans la merde. Il n’a pas dit la merde, il a dit l’impasse. Mais après des jours et des jours passés dans une ambassade, Hamdani a bien pu attraper les tics de la langue consulaire.
C’était un peu inattendu, certes. Bigre… Voilà un otage qui ne joue pas le jeu, qui ne remercie pas son valeureux pays — son demi-pays ont du penser les bonnes âmes querelleuses et sourcilleuses, puisque Rachid Hamdani, en plus d’être suisse, a aussi la chance d’être tunisien. Et puis, après tout, ce n’est pas la première fois que le syndrome de Stockholm serait à l’œuvre, ce phénomène qui voit des liens forts se tisser entre preneurs d’otages et otages, entre kidnappeurs et kidnappés.
N’empêche, aussitôt ce fut l’avalanche d’une vindicte déversée à gros bouillons sur le site du «Matin». Comme quoi cet Hamdani aurait fait preuve d’un «manque évident de respect vis-à-vis de son pays qui l’a protégé». Et puis, «quand on pense à l’argent que ça a coûté de le sortir de là-bas…». C’est bien simple, ma pauvre dame, «les autorités ne devraient même pas aller l’accueillir à son arrivée», et d’ailleurs, mon pauvre monsieur, «la prochaine fois on le laissera se débrouiller seul là-bas!».
Même sa femme Bruna Hamdani, dans sa villa de la côte vaudoise, s’est dite «perplexe». Il y eut quand même quelques têtes froides pour calmer le jeu: «Ne soyez pas idiots, enfin… Il est évident qu’il dit ceci pour protéger Max Göldi», l’autre otage, donc, toujours retenu. Plus tard il est apparu que cela sentait effectivement la manipulation libyenne à plein nez, une de plus, puisque les fameux propos émanaient de l’agence officielle Jana.
D’ailleurs, dans sa «première interview d’homme libre» par téléphone sur la TSR, Hamdani lui-même se confondait plutôt en remerciements, refusait de répondre à la question de savoir qui avait permis sa libération et ne blâmait guère que le rôle aggravant des médias. Pressé d’être plus précis, l’ex-otage prétextait alors un avion à prendre, ce qui, vu le contexte, n’était sûrement pas faux. Après avoir échappé aux entourloupes bédouines, il n’allait quand même pas se laisser emberlificoter par les grosses ficelles rochebines.
Les commentaires politiques, eux, ont fait preuve d’un flou artistique à peu près aussi consternant. Ainsi, la conseillère nationale genevoise Liliane Maury Pasquier voulait voir dans cet énième épisode de la partie de poker un signe qui «permet de dépolitiser le conflit». Il faut quand même se forcer un peu. Après une menace d’assaut de l’ambassade suisse par la police libyenne et la reddition de Max Göldi, homme innocent rappelons-le quand même, qui paye pour un coupable, le fol Hannibal, à peine chatouillé à Genève.
Quant au certificat de pugnacité que Micheline Calmy-Rey s’attribue à elle-même sur Facebook, mieux vaut l’oublier, tant la Genevoise a peu brillé dans cette crise.
Il est aussi amusant de voir des eurosceptiques professionnels concéder du bout des lèvres le rôle de nos voisins dans la libération d‘Hamdani. «La mise cause de l’espace Schengen a provoqué la solidarité européenne, même s‘il s’agit d’une solidarité forcée. Notre problème est devenu le problème de tout le monde», note ainsi le conseiller aux Etats valaisan Jean-René Fournier. Ces accords Schengen, en effet, qui devaient nous livrer à la merci de toutes les mafias et racailles étrangères ont été le seul levier efficace qui a fait un peu reculer le clan Kadhafi.
Quant à l’otage restant, Max Göldi, il ne lui reste qu’à prendre son mal en patience. La dernière sorcière d’Europe, décapitée à Glaris il y a 226 ans, vient seulement d’être réhabilitée officiellement. Elle s’appelait Anna Göldi.