KAPITAL

Burberry, ses fans et son réseau social

Encouragée par le succès de sa page Facebook, la célèbre marque au chevalier lance son propre réseau social. Objectif: faire parler d’elle et poursuivre la campagne de rajeunissement entamée par son directeur de la création, Christopher Bailey.

Voguant entre classicisme, modernité et vintage, entre images insolentes et postures sages, entre raffinement et culture populaire, le nouveau réseau social de Burberry, Artofthetrench.com, entend fédérer les aficionados de la marque. Le principe de cette plate-forme numérique, lancée en novembre 2009, est de mettre en ligne des photographies de passants portant le célèbre trench-coat dans les rues des villes du monde entier. L’idée, derrière le principe, est de créer une nouvelle vitrine pour la marque. De faire parler d’elle le plus loin possible.

Ce réseau social est directement inspiré du site The Sartorialist du New-Yorkais Scott Schuman, qui dès 2005 s’est mis à photographier l’homme et la femme de la rue, choisis pour leur style vestimentaire. Directement, parce que le directeur général de la création de Burberry, Christopher Bailey, s’est associé avec le photographe américain, qui a réalisé les premières images d’Artofthetrench.com. Des personnages minces et beaux, jeunes le plus souvent, stylés, captés dans leur quotidien. Ils marchent, ils courent, ils fixent droit l’objectif ou rêvent d’ailleurs. Avec toujours, comme lien entre eux, le manteau de pluie, bleu, beige ou noir. Dans un deuxième temps, d’autres créateurs d’images con­nus seront invités à participer.

Des artistes célèbres, mais pas seulement. L’homme ou la femme de la rue, vous ou moi, chacun peut envoyer ses propres photos, qui seront publiées après avoir été approuvées par Chistopher Bailey. «Chaque individu vit une histoire particulière avec son trench, a-t-il déclaré à l’occasion du lancement du site, et j’adore l’idée que tous ces gens à travers le monde puissent partager leurs histoires.» En outre, les internautes, membres du réseau, ont la possibilité de poster des commentaires et de partager les photos du site sur d’autres réseaux. Minimaliste, mais efficace.

Une stratégie offensive

L’équipe dirigeante de la marque a pris peu de risques. En effet, la première tentative de Burberry sur les réseaux sociaux avait provoqué un véritable raz-de-marée. Sa page de Facebook a réuni plus de 700’000 fans. Des fans qui sont autant de clients potentiels à entretenir et à cultiver. D’ailleurs, si l’on en croit les premiers pointages de la marque, le succès d’Artofthetrench.com est à la mesure de ses ambitions: trois semaines après son lancement, le site avait comptabilisé quelque 200’000 visiteurs dans 174 pays, avec des temps de consultation dépassant cinq minutes. «C’est long, et c’est très bon signe pour nous», affirme une collaboratrice de Christopher Bailey.

Artofthetrench.com est un élément parmi d’autres qui forment la stratégie globale de la marque sur internet. Depuis longtemps déjà, outre sa présence sur Facebook, Burberry retransmet ses défilés de mode sur le web. Elle a ouvert une boutique internationale en ligne et équipé ses magasins d’un système informatique afin que le vendeur puisse commander pour son client qui ne trouve pas son bonheur dans l’arcade elle-même, vêtements et accessoires, à distance. Une structure complète qui lui permet d’être présente aussi bien dans l’univers du virtuel que dans le monde réel. Le monde réel? En novembre 2009, la marque de luxe britannique a annoncé sa volonté de renforcer sa présence en Chine, où elle bénéficie d’une croissance à deux chiffres de ses ventes. Elle veut faire passer le nombre de ses magasins dans ce pays de 44 actuellement à plus de 100 d’ici aux prochaines années. Elle espère ainsi contrecarrer le recul de son chiffre d’affaires. En effet, entre avril et novembre 2009, Burberry a enregistré une diminution de 19,6% de ses bénéfices bruts (lire ci-dessous).

En termes d’image et de réputation, rien ne semble résister à Christopher Bailey. Le 10 décembre 2009, il a remporté le Prix du designer de l’année lors des British Fashion Awards 2009. De plus, Burberry a été couronnée «marque de l’année» à l’occasion des ACE Awards (Accessories Council Excellence) le 2 novembre 2009 à New York. Ce prix récompense chaque année des marques créatives en matière d’accessoires, et qui ont un impact positif sur l’industrie.

Les carreaux dans la doublure

«Christopher Bailey a donné une visibilité à la marque, une reconnaissance, explique Bertrand Maréchal, professeur design et mode à la haute école HEAD de Genève. Le trench est aussi bien porté aujourd’hui par la reine d’Angleterre que par Kate Moss. Ce qui était à l’origine une capote de l’armée est devenu un vêtement culte que tout le monde s’est approprié.» Lorsque Christopher Bailey a pris la direction artistique du groupe britannique, la bourgeoisie classique ne s’identifiait plus au fameux motif quadrillé et se détournait de la marque. Au même moment, dans les banlieues, les amateurs de rap commençaient à se réapproprier les carreaux Burberry, souvent contrefaits. «Le coup de génie de Christopher Bailey a été de remettre l’imperméable en avant et de renvoyer les carreaux dans la doublure, à l’intérieur, présents mais peu visibles. Du coup, la marque est redevenue un symbole de classicisme pur, d’aristocratie, sauf que moderne et légèrement décalée», poursuit Bertrand Maréchal.

Dans ce contexte offensif, le site Artofthetrench.com est-il un vrai réseau social ou un simple outil de buzz, de marketing? «On n’y retrouve pas ce que l’on cherche normalement dans un réseau social, explique Stéphane Koch, conseiller en gestion stratégique de l’information, à Genève. L’idée d’un site participatif, c’est quand même de donner pour recevoir. Et dans le cas de cette plate-forme, je n’ai pas compris ce qu’elle offrait à celui qui y participe.» Mis à part, peut-être, la fierté d’avoir été sélectionné par Christopher Bailey. Car selon Stéphane Koch, l’internaute doit faire tout le travail lui-même, se prendre en photo, formater l’image au bon format et la mettre en ligne, pour un résultat qui n’est guère à son avantage. «Il se retrouve au milieu de gens très beaux et bien photographiés. Un contexte qui ne peut que lui donner un air bizarre, accentuer ses propres défauts. En outre, il n’y a pas de vraie communication entre les membres. Certes, chaque participant peut poster un commentaire sur les photos, ou recommander le site plus loin, sur Twitter ou sur Facebook, mais il n’a aucune possibilité de se montrer critique envers la marque.» Bref, Stéphane Koch définirait Artofthetrench.com comme une plate-forme publicitaire, plutôt que comme un réseau social.

Une mode contemporaine

Reste que pour une marque de luxe comme Burberry, il est toujours bon de faire parler de soi, d’évoluer avec la société, avec ses pratiques et ses mœurs. «La culture blog est devenue une esthétique à part entière, conclut Bertrand Maréchal. Et ce serait peu réaliste, et très rabat-joie de penser qu’une telle initiative est secondaire. Elle est le reflet d’une mode contemporaine, à consommer instantanément.»
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Un titre qui a le vent dans le dos

Après une chute spectaculaire au plus fort de la crise financière, l’action Burberry s’est reprise de manière tout aussi spectaculaire dans le courant de 2009.

Lors du Cercle des gérants à Paris, à la fin 2009, Philippe Lecoq, responsable de la gestion actions européennes chez Edmond de Rothschild Asset Management à Paris, a cité Burberry parmi ses actions préférées. En effet, elle permet de jouer la faiblesse de la livre.

De plus, le groupe devrait structurellement augmenter ses marges. Son talon d’Achille, a-t-il pourtant précisé, est son manque de développement dans les pays émergents. La marque de luxe va y remédier ces prochaines années avec l’expansion qu’il projette de réaliser en Chine.
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Burberry en chiffres

Fondée en 1856, la marque Burberry est établie à Londres et cotée au London Stock Exchange. Actuellement, elle surpasse les performances de plus de la moitié des entreprises du FTSE 100. Pour l’année fiscale clôturée au 31 mars 2009, Burberry a réalisé un chiffre d’affaires global de 1,2 milliard de livres (2 milliards de francs), en hausse de 600 millions de livres depuis l’arrivée à sa tête d’Angela Ahrendts et son association avec Christopher Bailey en 2001. Cependant, au cours des six mois allant d’avril à septembre 2009, Burberry a admis une baisse de 19,6% de ses bénéfices bruts, de 97 millions de livres à 78 millions de livres. Ses recettes ont néanmoins totalisé une croissance de 6% pour atteindre 572 millions de livres, dont 10% proviennent des marchés émergents. Au cours de cette période, la vente au détail a représenté 54% du total des recettes, contre 45% l’année précédente.

Le groupe Burberry emploie 6’000 collaborateurs et possède aujourd’hui 122 boutiques propres, 255 concessionnaires et 90 magasins franchisés à travers le monde. Il veut augmenter de 10% par an les recettes de ses ventes au détail.
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Une version de cet article est parue dans le magazine Swissquote.