GLOCAL

Le syndrome du télésiège

La principale attraction du pavillon suisse de Shanghai en fait le succès en même temps que l’échec: elle attire mais engorge à la fois. Plus suisse, tu meurs.

Le pavillon suisse de l’exposition universelle de Shanghai, nous dit-on, fait un drôle de tabac. Deux à trois heures d’attente en files sages et compactes, des annonces par haut-parleurs qui conseillent d’éviter les pavillons américain, espagnol et donc suisse et de préférer des enceintes plus accessibles, moins plébiscitées.

C’est mérité. Il faut dire que le pavillon suisse a judicieusement préféré la prise d’assaut à la prise de tête. L’attraction principale, en effet, de notre glorieux pavillon, nul ne l’ignore plus, est un superbe, un flambant télésiège. Le télésiège était certes le moyen de transport préféré du regretté chasseur de papillons Vladimir Nabokov. De là à crapahuter sur place pendant des heures, dans la chaleur et la poussière, juste pour quatre minutes de ballade le cul sur la banquette, il faut quand même être un peu chinois.

En réalité, le télésiège de Shanghai est encore plus typique de notre savoir-faire qu’on pourrait penser au premier abord. Il semble en effet que notre pavillon national soit davantage engorgé que réellement pris d’assaut. Un engorgement conséquence de sa faible capacité d’absorption, malgré toute sa belle mécanique dernier cri.

Au contraire, le pavillon français qui, lui, bat réellement tous les records de fréquentation, l’a joué plus subtil: le trajet est en descente ce qui a pour effet de fluidifier le flot de visiteurs. Des visiteurs en outre alléchés par un genre de gâteries qui devraient faire un peu rougir, quand même, les fabricants de télésiège: l’Angélus de Millet ou le Balcon de Manet.

Oui, ce télésiège est vraiment suisse jusqu’au bout des poulies: une idée tellement bonne, une mécanique tellement parfaite et huilée qu’elle finit par sérieusement compliquer la vie de chacun. On connaît l’exemple moult fois commenté et éprouvé: des autoroutes tellement lisses et impeccables qu’elles nécessitent pour ce résultat d’être en travaux perpétuels.

Sans parler évidemment de cet excès de règlements de toute espèce qui n’ont en vu que le bien commun et l’équité la plus précise, mais qui font, par leur prolifération même, qu’à certains égards la vie quotidienne se trouve moins entravée sous des dictatures corrompues qu’au pays de la démocratie directe.

Et puis ce télésiège a un envers, un sérieux côté boomerang. Si tous les gens qui nous veulent du bien, tous les Kadhafi du monde, tous les amis de Polanski, tous les islamophiles justement révulsés par le vote sur les minarets, prenaient ce télésiège suisse comme un pesant mais lumineux symbole: l’invite d’un pays masochiste à ce qu’on veuille bien s’asseoir dessus.