«C’est clairement le premier dossier de l’après-crise dans la catégorie des multinationales américaines.» Directeur du Service de la promotion économique de Genève, Daniel Loeffler ne cache pas sa joie lorsqu’il commente l’arrivée prochaine à Genève d’Expedia, leader mondial du voyage en ligne. «C’est un signe de reprise fort pour l’emploi. Dans ce type de cas, on assiste en général dans un premier temps à deux tiers de transferts pour un tiers de recrutement local, la proportion s’inversant après 5 ans.»
L’agence de voyage américaine a décidé de transférer dans la ville romande le siège de son «pôle hébergement», un élément stratégique central puisqu’il gère les relations de l’ensemble du groupe avec les hôtels. Ses bureaux devraient être opérationnels dès cet été, avec une quarantaine d’emplois créés durant l’année. «Genève est un lieu idéal pour notre implantation, relève Matthew Crummack, vice-président du secteur hébergement chez Expedia et responsable du site de Genève. Située au cœur de l’Europe, la ville bénéficie de compétences professionnelles reconnues dans le domaine de l’hospitalité et affiche une culture multinationale. Le tout soutenu par une économie dynamique.»
Parmi les qualités de Genève, qui se trouve en compétition directe avec des villes comme Bruxelles ou Amsterdam, Daniel Loeffler cite lui aussi la position centrale en Europe et la qualité des écoles internationales. Il ajoute la proximité de l’aéroport et la présence de data centers performants permettant de développer la clientèle et les affaires. Ces considérations venant juste après les questions cruciales relevant de la fiscalité, du droit du travail et des charges sociales, où Genève obtient là aussi, toujours selon lui, «de très bons résultats».
À la recherche de nouveaux talents, l’entreprise américaine, fondée en 1996 à partir d’une petite division du géant Microsoft, a ouvert un site d’informations spécialement pour Genève et s’intéresse de près dans son objectif de recrutement aux grandes écoles hôtelières. Elle a ainsi récemment parrainé le concours étudiant «Young Hoteliers Summit», hébergé par l’Ecole hôtelière de Lausanne, de même que la foire aux emplois de l’école. «Cette relocalisation permettra à Expedia d’étendre son leadership mondial tout en élargissant son ancrage en Europe», poursuit Matthew Crummack. En lien avec cette base stratégique, des centaines de responsables de marché seront présents dans différentes villes en Europe et dans le monde dans le but de trouver de nouveaux partenaires hôteliers.
Avec un argument de poids: figurer dans le réseau d’Expedia permet aux établissements hôteliers de rendre leur offre disponible sur plus de 80 sites Internet (dans 33 langues à travers le monde) visités chaque mois par plus de 60 millions d’internautes: «Chaque jour, uniquement sur notre site aux Etats-Unis, nous totalisons 18 millions de recherches de vol, 14 millions de recherches d’hôtels et 2 millions de recherches de voitures», résume la porte-parole du groupe Katie Deines Fourcin.
Cotée au Nasdaq, Expedia compte aujourd’hui près de 8’000 employés dans le monde et génère plus de réservations pour les voyages de loisirs que toute autre agence de voyage, en ligne ou traditionnelle. Elle propose à la réservation 114’000 hôtels dans le monde, dont 54’000 rien que pour le contient européen. «L’Europe est une région de la plus haute importance pour nous en matière d’hébergements», relève Katie Deines Fourcin. Pour l’instant, la société ne prévoit pas d’exploiter un site de réservation Expedia.ch (qui renvoie sur les autres serveurs européens), mais elle gère déjà le site Hotels.ch. «Le siège de Genève sera exclusivement dédié à nos opérations d’approvisionnement d’hôtels», souligne la porte-parole.
La «famille» des marques Expedia comprend dans le monde 19 déclinaisons du site Expedia.com et une septantaine de sites Hotels.com, ainsi que des sites comme Egencia.com (actif dans la gestion de voyages d’affaires), ClassicVacations.com (spécialiste du voyage de luxe) ou TripAdvisor Media Network (la principale communauté de voyageurs au monde). L’entreprise est aussi fortement implantée en Chine avec eLong.com, le deuxième plus grand site de réservation du pays. Le réseau de la société, dont le chiffre d’affaires s’est élevé l’année dernière à près de 3 milliards de dollars pour un bénéfice net de 300 millions, offre ainsi la possibilité à sa clientèle de réserver auprès des principales compagnies aériennes, hôtels et autres sites web très fréquentés, alors que les annonceurs peuvent, de leur côté, toucher de manière extrêmement ciblée leur public.
Parmi les principaux concurrents que l’entreprise compte en Europe, impossible de ne pas mentionner Ebookers. Présente dans 12 pays européens, la société (qui emploie au total 350 personnes, dont 35 à Genève et 9 à Zurich), Ebookers est d’ailleurs l’agence de voyage en ligne numéro un en Suisse. «En 2009, nous avons devancé les sites des tour-opérateurs comme Kuoni ou Hotelplan, mais aussi ceux des compagnies aériennes telles que Swiss ou Easyjet», se réjouit le porte-parole d’Ebookers Matthias Thürer.
En Europe, l’entreprise fait partie du top 3 (avec Expedia et Opodo), et avant Booking.com. En Suisse, l’essentiel de sa croissance provient des produits non-aériens (hôtels, voitures, assurances) et de la «combinaison dynamique» de ses produits (vol + hôtel, vol + voiture, vol + hôtel + voiture). Son business model s’apparente donc beaucoup à celui de son concurrent américain: «Nous sommes une vraie agence de voyage qui vend exclusivement sur internet des billets d’avion, des chambres d’hôtels, des voitures de location, des séjours week-end et des voyages balnéaires, résume Matthias Thürer. Nous ne sommes pas simplement un revendeur, puisque nous négocions la plupart des tarifs avec nos prestataires, ce qui permet d’offrir des exclusivités et les tarifs les plus bas du marché.»
Logiquement, Ebookers suit de près l’évolution des prestations d’Expedia, notamment sur le marché suisse. «Pour l’instant Expedia ne délocalise à Genève que son pôle hébergement qui se consacrera à des activités très pointues liées à l’hôtellerie, en particulier à la négociation des prix/volumes avec ses prestataires hôteliers, observe Matthias Thürer. Chez nous, cette activité est gérée depuis Londres. Actuellement, il ne semble pas question d’une gestion du site Expedia.ch avec une équipe locale, pour l’instant du moins…»
Ebookers table sur ses avancées technologiques du site pour faire face à cette possible concurrence: «Grâce à notre appartenance au groupe Orbitz Worldwide, nous investissons des montants importants dans le développement e le contenu de nos sites et, et nous offrons à nos utilisateurs de nouvelles fonctionnalités et une vitesse de recherche accrue», poursuit Matthias Thürer. Les pages hôtelières intègrent ainsi Google Maps et Google Street View. Par ailleurs, de nouveaux filtres permettent d’effectuer des tris par quartier, par appréciation des clients, équipement ou distance par rapport au centre. Enfin, l’offre des hôtels d’Ebookers a été augmentée de 15’000 hôtels pour atteindre un total de 95’000.
Le secteur doit aussi faire face aux autres acteurs qui se développent sans cesse en direction du Web: les tour-opérateurs, les compagnies aériennes qui diversifient leur offre vers le non-aérien, mais aussi des agences de voyage nationale comme, en Suisse, Travel.ch ou Reisen.ch.
_______
Une version de cet article est parue dans PME Magazine.