Lifting, lipoaspiration, remodelage du nez ou réduction mammaire: une opération sur cinq concerne aujourd’hui un patient masculin. Pourquoi cette évolution rapide? A quel prix, et pour quels bénéfices? Enquête.
Implants capillaires, lipoaspiration, remodelage du nez, raffermissement des paupières, oreilles recollées ou encore réduction mammaire: les hommes se mettent de plus en plus à la chirurgie esthétique. En Suisse, une opération sur cinq concerne désormais un homme, soit près de dix mille par an, selon une étude d’Acredis, un service de conseil pour patients basé à Zurich. «Le nombre de mes patients masculins a doublé en dix ans», témoigne Pierre Quinodoz, chirurgien esthétique à Genève.
«La demande en matière de réduction mammaire devrait encore s’accélérer», estime Stephan Hägeli, d’Acredis. Car si les femmes s’intéressent à une poitrine plus volumineuse, les hommes consultent pour l’objectif inverse. Conséquence d’un dérèglement hormonal ou de surpoids, l’hypertrophie des seins pousse de nombreux hommes sous le scalpel. «Ce problème va au-delà de la simple question de beauté, note Catherine Perrin, secrétaire générale de la Société suisse de chirurgie plastique, reconstructive et esthétique (SSCPRE). Elle touche à l’image que l’on se fait de la virilité.» Pour un homme, avoir des seins représente un problème psychologique douloureux, qui pourra l’amener à éviter la piscine et à fuir les vestiaires.
«Les hommes viennent consulter lorsqu’ils veulent se reprendre en main, perdre du poids et refaire du sport, explique le chirurgien Pierre Quinodoz. Ils se regardent dans le miroir et se disent: “Ce n’est pas comme ça que je me vois. » Parfois, c’est lors d’un changement de vie, lorsqu’ils ont des soucis dans leur entreprise.» Les gens sont bien mieux informés et hésitent d’autant moins. «La chirurgie esthétique se démocratise, analyse Michel Pfulg, fondateur de Laclinic à Montreux. On en parle beaucoup dans les médias, on se renseigne sur internet. Et l’offre crée la demande…» La publicité pour les actes médicaux reste interdite, mais la chirurgie esthétique se vend bien à travers des publireportages et des interventions de médecins dans les médias, rappelle Catherine Perrin.
«Rhinoplasties et oreilles recollées chez les jeunes garçons, lipoaspiration vers la quarantaine et rajeunissement des paupières pour les hommes plus âgés», résume Michel Pfulg. Très courantes entre 20 et 50 ans, les greffes de cheveux sont rarement réalisées par des chirurgiens — et peu en Suisse. «J’oriente les patients vers la France ou le Brésil», explique le chirurgien Sabri Derder.
Après la cinquantaine, les liposuccions laissent la place aux liftings qui, contrairement à ce que l’on croit souvent, ne servent à rien contre les rides: un lifting permet de lutter contre bajoues et doubles mentons, tandis que les rides peuvent être comblées avec différents types d’implants. Les quinquagénaires consultent surtout pour des interventions sur les paupières, qui permettent d’éviter l’air fatigué causé par des poches sous les yeux. Elles sont prisées par les professionnels suractifs. «J’opère pas mal de collègues…», glisse Pierre Quinodoz. D’autres personnes ont un regard lourd dû à une paupière supérieure tombante, une condition qui, dans certains cas extrêmes, peut diminuer le champ visuel — et même s’avérer dangereuse pour la conduite.
Et l’allongement du pénis, dont on parle tant sur internet? «Nous avons noté un nombre grandissant de demandes de renseignements téléphoniques, indique Stephan Hägeli, du centre de conseil Acredis. Mais pas davantage d’opérations.» Les médecins interrogés sont en effet unanimes à déconseiller l’intervention. «On peut gagner deux ou trois centimètres au repos, mais pas en érection, explique Jean-François Emery, qui opère à la Clinique Cecil à Lausanne. On peut également augmenter le diamètre par injection de graisse. Mais je déconseille dans la plupart des cas ces opérations. Elles ne règlent pas vraiment le problème, qui est le plus souvent d’ordre psychologique.» «J’ai des patients avec des blessures narcissiques vieilles de dizaines d’années, occasionnées par des commentaires blessants d’une femme un peu cruelle, renchérit le docteur Sylvie Abraham, auteure de La Chirurgie esthétique au masculin. Il y a aussi le syndrome du vestiaire, qui touche bien sûr des sportifs, mais aussi des pompiers ou des policiers… Des hommes très grands ou des Africains au membre tout à fait normal, disent souffrir de la pression exercée par des femmes qui, consciemment ou non, recherchent des individus spécialement bien dotés…»
«L’essor de la chirurgie esthétique masculine est davantage lié à l’environnement professionnel qu’à la pression des médias, analyse le spécialiste Stephan Hägeli. Le culte du corps était bien plus fort dans les années 80. Ce qui a changé, c’est la pression du succès. Pour les hommes, il ne s’agit pas tant d’être beau mais plutôt de se présenter comme jeune, dynamique et confiant.» L’employé doit représenter l’entreprise, il faut projeter l’image du winner, et ce n’est pas seulement le métrosexuel qui va consulter, mais également l’homme qui veut affirmer sa virilité. «Il y a dix ans, les hommes se retranchaient systématiquement derrière des raisons professionnelles, bien que l’on ait senti perler d’autres problèmes, comme par exemple la solitude», ajoute le docteur Sylvie Abraham.
«Les médias présentent souvent la chirurgie esthétique comme un dilemme moral, avance Stephan Hägeli. Dans nos études, les femmes se déclarent intéressées par une opération pour autant qu’elle soit efficace et abordable. Le vrai critère n’est pas éthique mais celui des moyens.» Les hommes, eux, se cachent moins et prennent directement rendez-vous, alors que, il y a une dizaine d’années, c’était souvent leur secrétaire ou leur femme qui appelait…
«Je vois aussi bien des jeunes étudiants que des hommes d’affaires, des politiques ou des présentateurs TV», indique Michel Pfulg. Non remboursées, ces opérations attirent surtout des gens relativement aisés. «Certaines personnes veulent à tout prix économiser et iront se faire opérer à l’étranger, relève Sabri Derder. Mais la plupart préfèrent payer plus pour mettre toutes les chances de leur côté.»
Hommes et femmes ne sont pas égaux devant le scalpel: monsieur est plus délicat. «Les patients masculins sont plus difficiles à soigner, note Michel Pfulg. Ils montrent moins de tolérance face à la douleur et sont plus impatients. La cicatrisation prend d’ailleurs souvent plus de temps, à cause des poils.» Mais ils présentent moins de risques que les femmes de développer une dépendance aux soins esthétiques, relève Catherine Perrin, de la SSCPRE. «Les hommes se renseignent sur les processus et posent davantage de questions sur les risques, ajoute Stephan Hägeli. Ils adoptent un comportement de consommateurs: ce qu’ils veulent, ils le prennent. Les femmes sont, elles, souvent moins sceptiques; elles s’intéressent principalement au résultat.» A chaque sexe son vocabulaire: «Les hommes ne parlent jamais de beauté ou de rides, affirme Sylvie Abraham. Ces concepts restent encore trop liés aux femmes. Ils préfèrent les mots soin, jeunesse, séduction et parler de plis ou d’affaissement. Pour les hommes, l’apparence doit remplir un rôle.»
«La beauté est très relative, rappelle Pierre Quinodoz. Par exemple, Serge Gainsbourg a bien réussi à sublimer sa morphologie particulière. Et, au Japon, des oreilles décollées sont appréciées: elles sont signe de fertilité.»
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Les cinq opérations les plus fréquentes chez les hommes
1. Raffermissement des paupières
4’000 – 5’000 CHF
«On incise derrière la paupière pour retirer un peu de graisse et réduire les poches sous les yeux, explique le chirurgien Sabri Derder. Attention à ne pas trop en faire, sous peine de finir avec des yeux creux. Pour les paupières supérieures qui tombent, on enlève un peu de peau – mais pas trop, sinon il peut devenir impossible de fermer complètement les yeux. Le plus souvent, une demi-heure sous anesthésie générale suffit.»
2. Lipoaspiration
5’000 – 9’000 CHF
«Chez les hommes, surtout pour le ventre, les poignées d’amour et le cou. On incise sur 3-4 mm, on introduit un petit tuyau, et on aspire. L’intervention dure enter une et quatre heures. Elle est utile pour se débarrasser des derniers 3-4 kilos mais ne sert à rien pour des patients obèses, car ceux-ci reprendront très probablement du poids. Et dans ce cas, la nouvelle graisse se remet souvent dans d’autres régions, ce qui peut donner des silhouettes bizarres.» L’opération permet de se débarrasser des certaines graisses bloquées dans le corps qui ne partiront pas, même avec un régime strict ou du sport.
3. Correction du nez (rhinoplastie)
7’000 – 9’000 CHF
«Très souvent il s’agit de corriger des altérations marquées comme une bosse, un nez tordu qui empêche de bien respirer ou parfois des larges narines. Il n’y a pas de nez à la mode. Pendant l’opération qui dure quelques heures, nous retroussons la peau vers le haut, ce qui permet de très bien voir la structure du nez. Les risques consistent en des irrégularités visibles ou palpables. Il faut faire très attention à assurer le soutien du nez pour éviter des difficultés respiratoires.»
4. Réduction mammaire (gynécomastie)
3’000 – 5’000 CHF
«Lorsque l’hypertrophie des seins est due à une dérèglement hormonal, on enlève une partie de la glande mammaire. Si elle est causée par un excès de graisse, on fait une liposuccion. Il ne faut pas trop en faire, car sinon on peut voir des poitrines creuses.»
5. Lifting
20’000 – 25’000 CHF
«L’incision suit le contour des oreilles depuis les pattes sous la tempe jusqu’au-dessus de la nuque. On ne retend pas que la peau, mais aussi les couches graisseuses et musculaires plus profondes. L’intervention dure de deux à quatre heures et marche bien pour le bas du visage, mais moins pour le haut. Il y a des cas relativement rares d’infection ou d’hématomes.»
Greffe de cheveux
Peu pratiquées par les chirurgiens, les greffes de cheveux n’ont pas été recensées par l’étude d’Acredis. «Une bandelette de peau d’un centimètre de haut est prélevée à l’arrière du crâne où se trouvent encore des cheveux. Elle est découpée en un millier de petits carrés que l’on greffe sur le sommet du crâne. Il s’agit d’un vrai travail d’orfèvre de quatre à cinq heures, à faire sous la loupe. Si l’on se décide plus tard pour la ‘boule à zéro’, la cicatrice derrière deviendra apparente.»
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De plus en plus jeunes
On connaissait déjà ces cas de préadolescentes qui veulent se refaire la poitrine. Leurs frères eux aussi se tournent vers la chirurgie esthétique. «Les hommes qui veulent se faire examiner sont de plus en plus des jeunes, note Catherine Perrin, secrétaire générale de la Société suisse de chirurgie esthétique. Les garçons consultent souvent pour des demandes de modification du nez, les rhinoplasties. Mais nous faisons toujours très attention, car, souvent, il s’agit plus d’un malaise face à un changement rapide du visage ou d’un manque de confiance en soi. Nous ne recommandons jamais d’opérer avant 25-30 ans.» «Des parents amènent également leurs enfants pour des oreilles décollées, indique Pierre Quinodoz, mais cela ne sert souvent à rien s’ils sont trop jeunes. Il faut absolument attendre que la demande soit exprimée par l’enfant. Sinon, on peut créer des complexes.» Ces histoires sont souvent cruelles: «Un jeune de 15 ans souffrant de persécution est venu me voir pour ses oreilles décollées: en classe, ses camarades les prenaient pour cible.»
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Attention aux médecins peu scrupuleux!
Si le titre de spécialiste en chirurgie esthétique est protégé depuis 2002, les interventions ne le sont pas: n’importe quel médecin peut les pratiquer (ainsi que tout autre acte médical, note Catherine Perrin). Pour choisir un chirurgien, les patients utilisent encore souvent le bouche à oreille, note le chirurgien Sabri Derder.
Certains chirurgiens multiplient les opérations sans trop d’égards pour le patient, alors qu’un bon médecin profite parfois d’une consultation pour orienter le patient vers un psychologue: «Nous faisons un deal, explique Pierre Quinodoz. Avant de poursuivre les discussions sur une éventuelle opération, nous exigeons que le patient aille voir un psychologue.
Certains hommes malheureux veulent absolument trouver une raison corporelle à leurs problèmes. Ils se fixent par exemple sur un nez un peu gros. Dans un tel cas, une opération serait une grave erreur, car elle concrétiserait le malheur sans le résoudre.» Mais d’autres chirurgiens feront jouer le bistouri sans scrupules.
«Nous nous attendons à une remise en ordre sur le marché suisse, avance Stephan Hägeli. L’offre est devenue trop grande et les prix de plus en plus agressifs.» «Certains médecins ont de la peine à remplir leur cabinet et cassent les prix, souligne Catherine Perrin. Ils veulent donner l’image d’interventions faciles, peu graves et rapidement exécutées entre midi et 14 heures. Mais, malgré cette image de facilité, une opération reste une intervention chirurgicale.»
Acredis a relevé 5% d’opérations problématiques. «Ce n’est probablement que la pointe de l’iceberg, note Stephan Hägeli. Car les gens ne parlent souvent pas de leur opération à leur entourage. Et, surtout, lorsqu’elle se déroule mal.»
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«Les hommes se trouvent beaux»
Médecin, Barbara Polla parle du rapport des hommes à la beauté.
Médecin, ancienne politicienne et galeriste, Barbara Polla a publié en 2005 Les hommes, ce qui les rend beaux. En une année, elle a rassemblé le témoignage de 200 hommes qui parlent de leur rapport à la beauté.
Les hommes sont-ils sensibles à la pression d’être plus beaux?
En général, les hommes se trouvent beaux. Il ne s’agit aucunement d’un délire mégalomaniaque. Ils se disent: «Je ne suis pas mal», savent estimer certaines parties de leur corps et trouvent parfois esthétiques certains petits défauts. Ils manifestent une grande liberté face aux critères de la beauté et aspirent à une esthétique plus individuelle. Les hommes sont bien plus décomplexés que les femmes, qui sont nombreuses à ne pas se considérer comme belles.
Qu’est-ce qui pousse les hommes dans les salons de beauté et les cliniques de chirurgie esthétique?
Pour beaucoup, c’est une motivation professionnelle. Ils sont sous pression: ils se regardent dans le miroir et deviennent stressés de se voir stressés… Et des quinquagénaires en couple avec une femme bien plus jeune souhaitent faire quelque chose pour être plus en harmonie avec l’âge de leur compagne.
Qu’est-ce qui a changé dans la période récente?
La beauté représentait déjà une valeur capitale chez les Grecs. Pensez également à l’époque de Louis XIV avec son esthétique soignée, ses vêtements somptueux et le maquillage. Aujourd’hui, les hommes réinvestissent un champ dont ils se sont eux-mêmes exclus après la révolution industrielle, lorsqu’une nouvelle division des tâches a émergé: les femmes au foyer et les hommes au travail. Le rôle de l’homme s’est alors réduit à ramener l’argent à la maison et s’intéresser à la beauté était considéré comme efféminé. Depuis les années 50, on voit de nouveau une grande ouverture par rapport à la beauté et au corps. On peut désormais aspirer à s’affranchir de son origine, de son corps et même de son sexe.
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Une version de cet article est parue dans l’Hebdo.
