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Les mystères de Pamela Thomas Graham

Pamela.jpgL’arrivée de Pamela Thomas-Graham à Credit Suisse n’a pas fait que des heureux. Jean-Pierre Sommadossi, le CEO et président du conseil d’administration d’Idenix, biotech américaine majoritairement détenue par Novartis, a accueilli avec regret l’annonce de sa démission. «Pamela jouait un rôle très important dans notre conseil d’administration, où elle a siégé pendant cinq ans. C’était très excitant de travailler avec elle. La remplacer ne va pas être facile», salue le patron d’Idenix.

«Très efficace, éloquente, directe.» Mais aussi «accessible, simple, chaleureuse»: Jean-Pierre Sommadossi ne tarit pas d’éloges sur la nouvelle Chief Talent, Branding and Communications Officer du groupe bancaire. Lorsqu’on l’interroge sur la couleur de peau et le sexe de son ancienne collaboratrice, il s’agace. «Ces critères ne m’intéressent pas. Ce qui compte, c’est la personnalité des individus. Voyez ce que Pamela a accompli, c’est remarquable!»

Le parcours de Pamela Thomas-Graham donne effectivement le tournis. Et reste, qu’on le veuille ou non, indissociable de son sexe et de la couleur de sa peau. Quand elle était enfant, ses parents n’ont eu de cesse de lui inculquer les vertus du travail et de lui rappeler la lutte pour les droits civiques des avocats noirs. À la table familiale, Thurgood Marshall, le premier Noir à siéger à la Cour suprême des Etats-Unis, est cité en exemple.

La voie royale vers la réussite? Harvard. Irréaliste, oppose la conseillère d’orientation de Pamela. Laquelle refuse de se laisser démonter. En 1981, elle devient la première élève de son lycée luthérien de Detroit à intégrer la prestigieuse université. «Si vous devez être le premier, soyez le premier. Prenez-le comme un challenge, pas comme quelque chose qui doit vous décourager», dira-t-elle plus tard.

De la différence sociale d’avec ses pairs, elle a raconté qu’à son arrivée, elle ne s’était jamais sentie aussi seule. Mais les incertitudes ne durent pas. Elle envisageait de devenir avocate, elle opte pour l’économie. «Comprendre comment un capital est créé et distribué et comment l’économie fonctionne peut être un moteur de changement pour les minorités», expliquera-t-elle. De son ancienne élève, Rosabeth Moss Kanter, enseignante à la Harvard Business School, dit: «Pamela l’étudiante était une star. Elle est devenue un leader efficace, toujours occupé à motiver les gens. Sa nomination à Credit Suisse lui va comme un gant.»

Les années passées à la faculté du Massachusetts, dont elle sort bardée de diplômes (Bachelor of Arts en sciences économiques magna cum laude, M.B.A et J.D.), se révèlent déterminantes. Elle y rencontre l’avocat et écrivain Lawrence Otis Graham, qui deviendra le père de ses trois enfants. Leur chemin y croise celui de Barack Obama et de sa future épouse.

Pamela a toujours voulu écrire? Qu’à cela ne tienne, elle puise dans l’université le terreau de trois polars dont l’héroïne Nikki Chase, noire et brillante enseignante en économie à Harvard, résout des meurtres dans un environnement dominé par des hommes blancs. Toute ressemblance… «Vous les avez lus? Ils sont chouettes!», conseille Alan Murray, rédacteur en chef de l’édition en ligne du Wall Street Journal.

Alan Murray connaît bien Pamela Thomas-Graham, qui est allée le chercher au Wall Street Journal après le 11 septembre 2001 pour diriger le bureau de Washington, alors qu’elle était à la tête de CNBC, la chaîne d’informations financières de NBC. Son passage à CNBC a fait l’objet de critiques, relayées par le magazine BusinessWeek; elle se serait montrée plus intéressée par le réseautage et les conférences que par le train-train des opérations courantes. Alan Murray, lui, se dit enchanté des trois années passées à ses côtés. «Elle est brillante, déterminée, très ambitieuse. Elle avait une vision claire des choses. Travailler avec elle a été un régal», dit-il.

Si sa nomination à Credit Suisse l’a envoyée à Zurich et aux quatre coins du monde, Pamela Thomas-Graham conserve ses attaches à New York. Membre de l’Economic Club of New York, elle continue de siéger aux directoires de l’Opéra et de l’école de design Parsons. Elle est également membre du Council on Foreign Relations, un think tank sur les relations étrangères, et a participé à l’Advisory Committee on Transformational Diplomacy de l’ancienne secrétaire d’Etat Condoleezza Rice, qui visait à redéfinir les relations internationales. Mais comment fait-elle pour mener toutes ces activités de front? A cette question qui lui a souvent été posée, cette «overachiever» a répondu qu’elle dormait quatre heures par nuit et que son mari lui était d’un soutien indéfectible.

La personnalité de Lawrence Otis Graham jette un éclairage intéressant sur le couple. En 1992, fraîchement sorti de Princeton et Harvard, il se fait passer pour un serveur dans le country club de Greenwich pour dénoncer le racisme latent qui continue d’empreindre la société américaine, une expérience racontée dans un livre et qui lui vaudra la une du New York Magazine. Il a fait de l’avancée sociale afro-américaine son cheval de bataille et vante de manière décomplexée sa réussite, n’hésitant pas à préciser que sa famille réside «à quel­ques blocs des Clinton» à Chappaqua, banlieue huppée de New York, et sur Park Avenue, dans l’Upper East Side.

S’ils ont d’abord soutenu la candidature de Hillary Rodham Clinton à la présidence américaine, les Thomas-Graham se sont ralliés à Barack Obama dès l’annonce de sa candidature. Lawrence Otis Graham a raconté que le couple avait réservé des chambres à Washington plusieurs mois avant l’investiture. Le jour venu, quand leurs enfants, un garçon de 12 ans et des jumeaux de 10 ans, ont crié avec la foule en voyant apparaître le nouveau président, les larmes de leurs parents ont coulé.

Les trois romans de Pamela Thomas-Graham

«A Darker Shade of Crimson», Simon & Schuster, 1998
«Blue Blood», Simon & Schuster, 1999
«Orange Crushed», Simon & Schuster, 2004