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L’adieu à l’armée de milice

La nouvelle initiative du GSsA, prônant la fin de la conscription, n’a plus rien d’utopique et entérine surtout un état de fait: la chose militaire ne fait plus vibrer.

«Même Kadhafi ne paraît pas y avoir songé dans ses pires fantasmes.» Voilà l’argument massue du conseiller aux Etats Luc Recordon pour défendre la nouvelle initiative du GSsA (Groupe pour une Suisse sans armée) qui propose cette fois non plus la suppression de l’armée suisse mais la fin de l’obligation de servir, la fin de la conscription, autrement dit l’instauration d’une armée de métier. Et Recordon d’enfoncer la baïonnette: «On peine à imaginer un état qui aurait aujourd’hui ou dans un proche avenir l’intérêt et la capacité d’envahir militairement notre pays.»

Ca tombe bien: de notre côté, nous ne nous montrons guère plus vaillants, puisqu’un jeune Suisse sur trois est déclaré inapte au service. Voilà qui est bien vague. Inapte à quoi au juste? A la marche? Au tir? A la vie en groupe? Au petit jour? A la discipline? Le métier de soldat serait devenu complexe et éprouvant au point d’être inaccessible désormais à un bon tiers des hommes de ce pays? Ou alors, et c’est plus préoccupant, l’état de santé et de vigueur de la jeunesse actuelle se serait dégradé à un point tel que même l’armée ne trouverait rien à en faire? Même pas apprêtable en vulgaire chair à canon?

On voit bien que tout cela ne tient pas debout. Que c’est plutôt d’elle-même, de l’intérieur, que l’armée s’est vidée de sa signification, jusqu’à ne plus faire bander personne, ou si peu. Et puis, entre les inaptes et leurs certificats bidons, entre ceux qui optent pour le service civil, nous voilà avec seulement 30% des citoyens accomplissant aujourd’hui la totalité de leurs obligations militaires.

La messe semble dite autant que la bataille perdue. A partir du moment où le nombre d’embusqués atteint ce niveau, il ne sert plus à rien de brandir encore le vieux dogme: tout citoyen naît soldat. Mais certains visiblement plus que d’autres. Déjà que la formule respirait la malhonnêteté et l’hypocrisie en refusant à des citoyennes avides pourtant d’égalité, le beau statut de citoyen.

Bref, on voit bien que l’obligation de servir n’a plus d’existence effective, comme le souligne le capitaine Pierre Maudet, qui n’a pas précisément le profil du pacifiste bêlant. Tiens, encore une notion — pacifiste bêlant — qui sent la naphtaline et que plus personne n’ose utiliser. L’armée et les militaires se sentiraient-ils si faibles et déphasés qu’ils ne seraient même plus capables d’invectiver sereinement l’ennemi de toujours?

Même Ueli Maurer le reconnait: on n’a pas besoin de tous ces citoyens-soldats et les effectifs devraient être à nouveau réduits d’un gros quart. Un aveu difficile pour une institution qui a toujours eu les yeux plus gros que le ventre, qui n’a rien tant aimé que gaspiller par milliards entiers l’argent du pékin contribuable. Mais voilà que le pékin contribuable, via ses représentants politiques, se rebiffe: de l’argent à faire partir en fumée, mitraillades et bombardages, même pour rire, surtout pour rire, il n’y en a plus. Bernique et ceinture mon colonel. D’ailleurs, c’est la guerre moderne qui le veut: la technologie militaire réclame des spécialistes pointus, professionnels plutôt que de gros bataillons avinés.

Bien sûr l’obligation de servir ne part pas battue d’avance dans les urnes. Tous les schnocks, tous les ventripotents qui ont avalé — souvent avec un plaisir non dissimulé et quelquefois même tapageur — le cursus militaire complet, attrapent déjà des aigreurs d’estomac rien qu’à imaginer des générations suivantes pouvant échapper à une si forte expérience. Les ganaches sortiront probablement l’artillerie habituelle, la rengaine obligée de l’armée comme «école de vie». Quiconque l’a faite sait bien pourtant qu’à cette école-là les cancres portent rarement le bonnet d’âne, plutôt la casquette à ficelles.