KAPITAL

Fêtes et festivals, les modèles économiques gagnants

Les festivals se livrent une concurrence acharnée au sein du paysage évènementiel romand. Certains, comme le Paléo Festival et les Fêtes de Genève, s’érigent en modèles de succès. Enquête sur les forces de leur organisation.

Il n’y a pas que des montres et du chocolat en Suisse, il y a aussi des fêtes! Plus de 300 festivals sont organisés chaque été dans le pays et certains jouissent même d’une réputation qui dépasse les frontières. Derrière ce succès, des modèles économiques très différents selon les manifestations. Celui du Paléo Festival repose par exemple sur des bénévoles, fonctionne sans subvention et carbure aux recettes de la billetterie. A l’inverse, les Fêtes de Genève dépendent de professionnels salariés, tirent leurs revenus de la location des emplacements et bénéficient d’aides de l’Etat.

Le Paléo Festival de Nyon est une machine bien rodée qui draine chaque juillet plus de 35’000 spectateurs quotidiens encadrés par 4’400 bénévoles. La lourde tâche de l’organisation est assumée conjointement par l’Association culturelle Paléo Arts et Spectacles, présidée par Daniel Rossellat, et par un comité d’organisation qui gère les différents secteurs, comme l’administration, la sécurité et la programmation. Enfin, un bureau permanent d’une quarantaine de postes à temps plein se charge du soutien administratif et opère un suivi quotidien de la logistique des différents secteurs.

Au total, le budget du festival s’élève à 22,2 millions de francs, dont 27% sont dédiés aux frais de spectacle, 19% aux frais de fonctionnement et 17% aux frais de construction. Ce budget serait bien plus élevé sans le modèle économique particulier qui repose sur les bénévoles. Même les 43 sociétés culturelles et sportives qui tiennent des stands fonctionnent avec des volontaires, 1’300 au total, et reçoivent en compensation une rétrospection du chiffre d’affaire de 8’000 francs en moyenne. «Le bénévolat fait partie de l’histoire du festival, il a été instauré au départ pour des raisons financières, souligne Daniel Rossellat. Sur le plan économique, il est indéniable que ce système permet de maintenir des prix de places plus bas. Mais c’est surtout un état d’esprit différent, car les collaborateurs parlent du festival comme notre festival.»

Et la source ne se tarit pas, chaque année les demandes affluent. En contrepartie de leur engagement, les bénévoles bénéficient de l’accès gratuit au festival et concerts, de tickets de nourriture ou boissons, d’invitations et d’indemnités d’environ 150 francs. Seule l’installation de certaines grosses infrastructures (scènes, chapiteaux et tentes, notamment) requiert le renfort de professionnels. Tony Lerch, directeur du Caribana festival, basé sur une organisation similaire à celle du Paléo, reconnaît cette nécessité du savoir-faire: «Il y a des secteurs qui exigent la compétence de professionnels, comme la sécurité routière et le domaine artistique. Chez nous, la tendance actuelle consiste à trouver des professionnels qui font du bénévolat.»

Pour réduire les frais, les organisateurs du Paléo se passent d’assurance annulation, qui coûterait environ 200’000 francs par jour. Par contre, les bénéfices accumulés au fil des éditions ont permis de constituer un fond d’assurance de deux millions. Seul grain de sable dans la machine: le terrain de 85 hectares occupé par le festival est agricole et ne peut être acheté par l’Association du Paléo. A terme, celle-ci court le risque d’un refus de location, comme explique Daniel Rossellat: «La région se développe et les voisins, toujours plus proches du terrain, pourraient devenir un problème. Il ne faut pas oublier que pendant une semaine, la plaine de l’Asse se transforme en une ville éphémère de 50’000 habitants!»

Le Festival ne touche aucune subvention publique et la majorité de ses recettes provient de la vente des billets et abonnements (environ 50%). Viennent ensuite les recettes des bars et restaurants (20%) qui doivent verser une redevance, avec un minimum garanti fixé selon le type de produits proposés. Aux sommes générées par le festival s’ajoutent celles de la location de matériel appartenant à l’Association Paléo Arts et Spectacles. Elle rapporte environ 100’000 francs par année. Cet argent, tout comme le bénéfice dégagé par le festival en 2009, qui s’élève à 237’000 francs, sert au renouvellement du stock, au lancement de nouveaux projets et à l’amélioration du contenu artistique. L’Association fait fructifier ses bénéfices en étant actionnaire majoritaire de quatre entreprises commerciales: Opus One, Belino Boissons, SI Lasse (immobilier) et Disques Services. Puisque le festival réalise des bénéfices, pourquoi ne paie-t-il pas ses collaborateurs? La question est souvent posée aux organisateurs de manifestations qui s’appuient sur des bénévoles. Tony Lerch du Caribana, partage l’avis de Daniel Rosselat: «Les bénévoles représentent l’élément central d’un festival, sans eux la manifestation n’a plus d’âme. Les transformer en salariés changera cet esprit car dès qu’on parle d’argent, la motivation est différente.»

Les Fêtes de Genève fonctionnent selon un modèle différent, et reposent sur des salariés. Avec succès puisqu’elles attirent chaque été près de 2 millions de visiteurs sur trois semaines. La rémunération des collaborateurs pèse lourd dans le budget, mais le bénévolat n’est pas envisageable selon Christian Colquhoun, directeur des Fêtes: «Dans notre cas, ce système ne fonctionnerait pas. Nous n’avons que peu de compensations à offrir puisque l’entrée et les prestations sont gratuites pour la plupart.» L’organisation de la manifestation s’appuie donc sur 80 entreprises extérieures, des agences artistiques aux entreprises de construction. Les Fêtes de Genève n’ont pas d’entité juridique propre mais appartiennent à Genève Tourisme et Bureau des congrès (GT et BC) qui coordonne la gestion et l’administration. Aux commandes de la manifestation, un comité d’organisation composé de quinze personnes s’appuie sur un bureau permanent de quatre collaborateurs appartement à Genève Tourisme.

Les Fêtes visent l’équilibre mais GT et BC prend en charge les éventuelles pertes. Le budget s’élève à 4 millions de francs, mais atteindrait 7 millions sans l’aide de la Ville, de l’Etat et de quelques communes genevoises. En effet, ces administrations mettent gratuitement à disposition de nombreuses prestations, dont la gendarmerie et la police de la navigation, la Protection civile et le service des espaces verts et environnement. «Au total, ces prestations représentent environ 2 millions non facturés, souligne le directeur. Sans cette aide précieuse, les Fêtes de Genève ne fonctionneraient pas.» Les hôteliers partenaires de la manifestation contribuent à diminuer les dépenses de 100’000 francs, en offrant des chambres d’hôtel offertes aux artistes, aux invités d’honneur et à certains membres de l’organisation. Les dépenses les plus lourdes concernent l’organisation générale (dont la voirie et l’électricité) pour 1,2 million de francs et la mise en place des infrastructures pour 1 million (tentes, planchers, génératrices, etc…). Enfin, les animations artistiques, 200 spectacles et concerts, coûtent 860’000 francs, et les feux 700’000 francs.

Les revenus proviennent essentiellement de la location des emplacements pour les stands. La Ville octroie à Genève Tourisme un usage accru du domaine public et l’autorise à louer ses emplacements. Cette utilisation est normalement soumise à une taxe, mais les Fêtes de Genève en sont exemptées, en vertu de leur attrait touristique et leur contribution à l’intérêt de Genève. Les revenus engendrés par les 230 emplacements couvrent les deux tiers du budget. «Nous avons beaucoup de demandes car sur la durée, les locataires y trouvent leur compte. Certains me disent qu’au bout de trois jours, ils ont couvert les frais de location et font du bénéfice», détaille Christian Colquhoun.

Le dernier tiers des revenus provient du sponsoring, de la billetterie du spectacle pyrotechnique et des dons. «Genève Tourisme et Bureau des congrès est une association privée qui n’a pas de but lucratif, poursuit le directeur. S’il y avait des bénéfices, ils devraient être reversés à la Fondation pour le tourisme. Les Fêtes de Genève déclarent plutôt de légères pertes, qui sont couvertes par GT et BC.» Pas de bénéfices, certes, mais la manifestation gratuite occasionne des retombées directes (travail des entreprises) et indirectes (hôtellerie, transport, commerces) qui dépassent les 122 millions, selon une étude de l’Institut bâlois BAK réalisée en 2005.

Ces exemples illustrent les millions que brassent l’économie des fêtes et festivals en Suisse. Si le Paléo et les Fêtes de Genève font figure de modèle de réussite et d’exemple de pérennité, d’autres évènements ne survivent pas, comme les défunts Morgins jazz, le Bex Rock festival ou encore le Leysin Rock, disparu après sept éditions. Pour François Xavier Paccaud, ancien membre du comité de Paléo, il manquait à ce festival une réelle implication locale. «Cet évènement était un produit d’exportation, les organisateurs n’étaient pas de la région et ils n’ont pas réussi à susciter un engouement local. La plus grande réussite du Paléo, c’est justement d’avoir impliqué dès le départ la population pour faire du festival un produit du terroir et faciliter les relations avec le voisinage.». Autant d’éléments émotionnels déterminants, qui n’apparaissent pas forcément lors de la création et de l’établissement du business plan d’un événement culturel…