Un morceau de parquet qui donne son thème entièrement boisé au nouvel habillage du hall de Palexpo. Un éboulement de roche à Andermatt qui se prolonge en une maison de pierre. Le bureau d’architectes genevois Group8 construit en réfléchissant aux conditions locales. Large structure qui compte neuf associés et une soixantaine d’employés, l’entreprise vient de fêter ses 10 ans en dévoilant son dernier projet. Une réalisation très personnelle puisqu’il s’agit de ses propres locaux. Cette impressionnante halle non loin de l’aéroport se divise en un open space d’une blancheur aussi nacrée que les écrans des Mac flambant neufs qui la peuplent et des salles de réunions surprenantes, installées dans des vieux containers rouillés. Rencontre avec Adrien Besson et Daniel Zamarbide, deux des associés de ce bureau au nom neutre, mais au style pop et affirmé.
Vous venez d’inaugurer vos nouveaux locaux en containers, d’où vient cette idée?
Adrien Besson: L’idée des containers est un vieux fantasme d’architecte qui est de construire quelque chose à partir d’objets existants et de l’élever au statut d’architecture, comme Marcel Duchamp et ses ready-made.
Daniel Zamarbide: Ces dernières années, notre studio d’architecture s’est transformé en une véritable entreprise. Nous manquions cruellement de place dans nos anciens locaux. Le bureau était scindé en deux. Il fallait donc prendre un espace plus grand pour nous regrouper. La question de base était quel type d’image nous voulons donner. Nous avons souhaité faire contraster deux choses: l’open space qui est l’espace de travail, et les containers qui évoquent le voyage, l’industrie, mais d’une époque révolue.
Vous réalisez régulièrement des espaces de bureaux et d’administration, vos locaux vont-ils servir de tests?
DZ: Oui, c’est une boîte à idées. L’espace est évolutif. Nous avons par exemple défini un container comme une cellule de concours, mais il pourrait devenir autre chose. Nous travaillons avec une société d’ameublement avec laquelle nous allons faire des expériences. L’important est qu’il se crée des espaces de mise en réseaux informels entre les collaborateurs. Nous aimons quand l’architecture suggère des comportements comme à Palexpo, où le fait de recouvrir de bois une rampe et des escaliers où personne ne s’arrêtait auparavant a donné envie aux visiteurs de se l’approprier.
C’est l’un de vos grands projets du moment où vous avez témoigné de votre goût pour l’ornement, notamment à travers de très beaux plafonds.
AB: Palexpo souffrait d’un manque de qualification de l’espace. On pouvait passer d’une halle à l’autre et avoir l’impression de ne pas avancer. Pour les rénovations du hall d’entrée et du centre de congrès, nous avons donc joué sur des habillages différents, avec une salle au plafond composé d’une résille de néons dont le dessin reprend le motif du mathématicien Voronoï. Le restaurant est illuminé de longs tubes ondulants. L’idée n’est pas de faire de la pure décoration, mais d’utiliser une forme d’ornementation figurative pour qualifier les espaces.
DZ: Au sortir de nos études, nous avions en commun chez Group8 un rejet de la culture minimaliste dominante en architecture. Nous aimons la culture pop et le fait que l’architecture soit compréhensible par le plus grand nombre. Nous disons oui à Madonna et non à Boulez! Mais attention, la Madonna de l’époque «Music», quand la pop montrait qu’elle pouvait aussi toucher un certain degré d’intelligence.
N’est-ce qu’un parallèle méthodologique ou est-ce qu’il vous arrive de faire des citations pop dans votre travail?
AB: Les deux. Nous avons par exemple été nominés aux bourses fédérales d’architecture en 2010. Nous avons produit pour l’occasion un projet qui s’inspirait de la typographie de l’enseigne d’Hollywood. C’était une façon de rendre hommage à ce marqueur urbanistique qui est plus qu’une enseigne dans une ville sans signe.
Depuis quelques années, Group8 est aussi présent au Vietnam, à Hanoi. Pourquoi le choix de ce pays?
AB: Le Vietnam est encore un pays émergent au contraire de la Chine par exemple. La croissance y est très forte, ce qui promet un gros potentiel de travail. L’un de nos partner, Manuel Der Hagopian, y est allé en 2007 et y a fondé la filiale. Grégoire Du Pasquier, un autre partner est allé le rejoindre dès mars 2010. Nous avons surtout réalisé des grands plans d’urbanisme. L’an dernier, nous avons remporté un concours à Singapour pour la construction de 1800 logements. Contrairement à ce qui se fait là-bas, où on construit des tours très serrées qui réduisent l’espace public, nous avons opté pour des bâtiments en terrasse, de hauteur dégressive, comme des rizières en pente, jusqu’au pittoresque point d’eau qui leur fait face.
Ça rappelle la Grande Motte…
DZ: Nous avons effectivement regardé ce qui s’est fait dans les années 1970. Aujourd’hui, on a tendance à croire que les réalisations de cette époque étaient terribles, mais en fait, c’était des constructions d’un grand soin intellectuel qui permettaient d’intégrer le paysage.
Parmi vos projets phares, il y a de magnifiques villas mitoyennes entièrement rouges à Crans-près-Céligny et cette volière presque transparente dans le Bois de la Bâtie à Genève. Mais en dépit de la justesse de ces projets, l’un emprisonne les oiseaux, et l’autre mite le territoire périurbain. L’architecture est-elle donc un mal nécessaire?
Cela pose évidemment des questions. Nous avons choisi d’être des architectes conventionnels qui se confrontent aux problèmes du monde et ne se retirent pas dans la marge. Nous aimons construire. Il s’agit dès lors de trouver les meilleures solutions bâties possibles. Construire est un acte social.