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Grande vacance au Conseil fédéral

La succession de Moritz Leuenberger intervient au moment où l’UDC relance, dans nos boîtes aux lettres désertes, le fantasme d’une élection du gouvernement par le peuple. Voyons voir.

Tu parles d’une bénédiction: pour le deuxième été consécutif, une vacance annoncée au Conseil fédéral permet de meubler la torpeur ambiante. Certes, trouver une remplaçante à Moritz Leuenberger risque de s’avérer moins excitant, surtout d’un petit point de vue romano-romand, que l’an dernier d’avoir eu à pronostiquer l’héritier du roi Couchepin.

C’est oublier qu’en ces périodes rachitiques seule l’UDC trouve encore la force d’agiter son petit corps tout blanc et de venir déverser sa bile dans nos boîtes aux lettres. Un tout-ménage en plein cœur de l’été, ces gens-là sont de vrais obsédés de la chose publique, quand le reste de l’humanité n’aspire qu’au repos privé, bien individuel, chacun sous son parasol ou son parapluie suivant la destination. Tant pis pour ceux qui avaient choisi la variante «barbecue dans la taïga russe» ou «cours de guitare au camping du Bouveret».

La succession de Moritz Leuenberger, donc. Qu’il faut d’abord chaleureusement féliciter. En annonçant le 9 juillet déjà son départ pour la fin de l’année, l’inénarrable Momo-la-flemme offre au peuple suisse un long, un interminable boulevard de supputations, spéculations et autres terrifiants rebondissements qui certes accouchent souvent, à la fin, d’une plate queue de poisson.

En plus, pour l’heure, les méchants, ou plutôt les méchantes socialistes ne jouent pas le jeu. La bernoise Simonetta Sommaruga et la zurichoise Jacqueline Fehr, présumées les mieux placées, ne répondent pas au téléphone. Enfin sauf si c’est pour une affaire autre que la succession de Leuenberger. On peut par exemple toujours les inviter pour un barbecue dans la taïga russe, ou des cours de guitare au camping du Bouveret.

Mais du coup, le président du PS Christian Levrat, souvent accusé, question crachoir, d’en faire un peu trop, peut passer les vacances tranquilles d’un quasi moine trappiste. Même si l’UDC par la voix de son président Toni Brunner a déjà annoncé vouloir contester ce siège socialiste. Ce qui a fait tousser le guitariste Freysinger dans son camping du Bouveret, qu’on avait oublié de prévenir. Comme si un paysan du Toggenburg était censé savoir où se trouve un endroit aussi improbable, aussi romand, que le camping du Bouveret.

D’un côté donc, une Jacqueline Fehr conseillère nationale habitant Winterthur, considérée comme pragmatique et «aimée de ses pairs», même des UDC. «Au moins elle n’est pas une féministe gauchiste», relève le délicat député agrarien Toni Bortoluzzi. Malgré «sa foi illimitée dans l’Etat» sur des questions comme l’AVS ou l’AI. Personne n’est parfait. Heureusement Jacqueline Fehr se rattrape aux yeux de la droite dure en déclarant vouloir défendre «ceux qui ont peur de sortir le soir».

En face, la conseillère aux Etats Simonetta Sommaruga, bernoise et pianiste, donc doublement sérieuse, bien que d’origine tessinoise. Animée en tout cas d’une passion bien paisible: l’amour de son potager. Ce qui lui vaut l’accusation d’être à la fois une écologiste rigoriste et une sociale libérale. Elle ose en effet plaider pour d’avantage de concurrence dans certains secteurs au nom de la défense des consommateurs.

La lutte sera d’autant plus longue qu’une vieille lune chassant l’autre, on reparle avec insistance du départ conjoint de Hans-Rudolf Merz, qui n’aura été dans le fond et depuis le début qu’un Conseiller fédéral en partance. La favorite, la saint-galloise Karin Keller-Sutter voit son rôle contesté par la cheffe de groupe aux chambres Gabi Huber. Qui n’aurait qu’un seul défaut, mais terrible: pas plus de charisme qu’une porte de grange, et ne montrant aucune émotion en public. Avec Burkhalter, cela ferait donc deux glaçons radicaux au Conseil fédéral, deux introvertis dont, comme c’est curieux, les proches assurent qu’en privé ils sont de désopilants boute-en-train.

Il existerait bien un moyen d’éviter cette triste perspective: appliquer l’un des points les moins niais du tout-ménage UDC, à savoir l’élection du Conseil fédéral par le peuple. Un mode de scrutin dans lequel la flamboyante Karin ne ferait sans doute qu’une bouchée de la rigidisssime Gabi.

Notons, à propos de la succession Leuenberger, que le Blick a déjà fait voter le peuple en question et qu’à ce petit jeu la potagère Sommaruga, à la notoriété bien plus grande, enfonce la pragmatique et peu connue dame de Fehr. Conclure que si on lui donne les clefs du Conseil fédéral, le peuple souverain n’y installera plus que des grandes gueules célèbres, ne serait, évidemment, qu’un vilain procès d’intention.