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La gauche au service d’Economiesuisse

Lors de cette double élection, les parlementaires de gauche ont concocté un chef d’œuvre d’hypocrisie en choisissant Schneider-Ammann plutôt que Keller-Sutter. Explications.

«Ah ça, on peut pas dire, ah ça, c’est secret.» Le spectacle offert par la gauche lors de la double élection du 22 septembre au Conseil fédéral avait quelque chose de franchement rebutant. Un petit sommet d’hypocrisie en tout cas, offert par le PS et les Verts, réfugiés derrière le secret du vote.

Un secret bien pratique qui leur évitait d’expliquer pourquoi eux, gens de gauche, avaient permis l’élection du vice-président d’Economiesuisse, l’entrepreneur multi millionnaire Johann Schneider-Ammann.

Il faut dire qu’il n’y avait tout simplement pas de bonnes et sérieuses raisons, pour des gens sérieusement, réellement de gauche, de faire ce choix- là. Hormis une seule, très mauvaise, très peu sérieuse et très peu de gauche: la détestation de Karin Keller-Sutter.

Un rejet profondément idéologique qui relève de cette vieille gangue libertaire dont une partie des socialistes et des Verts n’ont pas réussi à se débarrasser. Quelques poussiéreux dogmes du catéchisme soixante-huitard instituant le refus pavlovien de tout discours un tant soit peu sécuritaire. En oubliant au passage que la sécurité est une valeur historiquement fondatrice de la gauche, face à la loi de la jungle secrètement chère aux idéologues de droite.

C’est au nom de ce catéchisme obtus que la gauche a préféré fermer les yeux sur les avantages évidents de la candidature Keller-Sutter: expérience d’un exécutif, sens politique, hauteurs de vue, intelligence, charme et charisme, tout ce qui faisait défaut à son adversaire. A quoi on pouvait ajouter que les précédents conseillers fédéraux issus des milieux de l’entreprise — Blocher en tête — ont fait de bien piteux ministres.

Les rares à gauche qui se sont essayés à justifier l’injustifiable se sont pris allègrement les pieds dans le tapis. Tel Didier Berberat assurant mordicus qu’au fond, ce brave Schneider-Ammann n’était pas dépourvu d’une certaine «fibre sociale». Alors que ses positions et votes comme conseiller national montrent exactement le contraire, que sous la coupole, hormis la piétaille UDC, il n’y a pas plus à droite que lui, notamment sur la révision de l’assurance chômage où il a adopté la position la plus dure qui soit.

Et que faire, sinon en rire, de cet argument de Roger Nordmann, invoquant l’énergie solaire, dont il est l’un des lobbyistes, sous prétexte que le secteur implique des machines et que Schneider-Ammann, comme industriel, ne pourrait donc qu’être favorable à la cause?

Au chapitre de la mauvaise foi, Ada Marra a fait également très fort. Tout d’abord en créditant le PS d’être le parti qui aura donné la majorité aux femmes au sein du Conseil fédéral. Alors que cela ne tenait qu’aux circonstances, qu’à l’ordre dans lequel avait lieu l’élection. Et que ce sont eux, essentiellement eux, les socialistes, qui ont empêché l’accession d’une cinquième femme au gouvernement. En accusant qui plus est l’UDC de misogynie, alors que cette gauche-là s’est appuyée sur la grotesque candidature de Jean-François Rime pour éliminer en catimini Karin Keller-Sutter au quatrième tour. Avec un misérable petit tas de voix, surtout vertes, éparpillées en bulletins nuls ou UDC.

Pour être juste il faut noter que le PDC, fidèle à son courage ordinaire, s’est caché tout au long du double scrutin, apportant son lot régulier de voix à Jean-François Rime et refusant énergiquement de trancher entre les deux candidates socialistes (un moindre mal) mais surtout entre les deux prétendants radicaux.

Autre petit refrain seriné en chœur à gauche, toute la matinée: Johann Schneider-Ammann comme représentant de l’économie réelle, cela équivaudrait à un bol d’air pur «après tous les dégâts commis par l’économie financière». Un distinguo à peu près aussi convaincant que le proverbe détourné de Bernard Haller: «Au royaume des aveugles les borgnes sont sourds».

Johann Schneider-Amman est au moins plus franc du collier. Avec lui, on a compris que cette fois, Economiesuisse est directement dans la place. Dès son discours d’investiture, il a annoncé en effet la couleur en mettant au premier rang de ses priorités «le renforcement des points forts de nos entreprises. Comme ça, tout le monde il est gagnant».

Le nouveau conseiller fédéral aurait même pu ajouter, dans son élan, à l’adresse par exemple de l’ex-syndicaliste Christian Levrat: «Et encore merci, camarade, merci pour tout.»