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Le yoga, un business en lévitation

Avec plus de 160’000 adeptes en Suisse, la pratique du yoga est devenue un phénomène de masse. Enquête sur un marché en forte croissance, qui répond aussi à une quête spirituelle.

Durant la pause de midi, la grande salle du centre Soluna, dans le quartier genevois des Pâquis, attire une telle foule que les adeptes ont du mal à étendre leur tapis pour saluer le soleil. «Le yoga est une boîte à outils pour la vie, dit Georgina Peard, qui pratique depuis une dizaine d’années. On peut y trouver des techniques, comme le lâcher-prise, qui sont utiles pour toute situation. Même si le yoga est âgé de milliers d’années, ses enseignements sont importants aujourd’hui.»

Les Suisses sont fous de médecines douces, comme l’ont montré les résultats des votations de mai 2009: ils consomment de plus en plus bio et adhèrent à des mouvements de type Slow Life. L’engouement pour le yoga s’inscrit clairement dans cette tendance. «Les gens sont en quête d’une oasis de tranquillité dans cette course que nous propose notre société matérialiste et égocentrique», explique Jean Lechim, grande figure du yoga en Suisse romande, qui enseigne à Lausanne depuis une quarantaine d’années. «Nous vivons dans des sociétés où nous sommes sursaturés et tiraillés de tous les côtés, ajoute Stéphane Bonvin, chef de rubrique et chroniqueur au Temps, qui enseigne le yoga à côté de son travail. Le yoga permet de réunir le passé et le futur, ce que nous souhaiterions être et ce que nous sommes.»

Réservé à une petite coterie d’allumés il y a encore quelques années, le yoga s’est imposé comme un loisir mainstream. «Il y a trente ans, nous étions cinq professeurs affiliés à l’association suisse de yoga, se souvient Armand Vitali, professeur au Centre de yoga à Lausanne. Nous sommes maintenant plus de 200. Il faut ajouter à cela environ 80% de professeurs indépendants pour comprendre l’ampleur du phénomène.» Selon une étude de l’Observatoire du sport suisse, la pratique du yoga a tellement progressé sur les dix dernières années qu’elle dépasse désormais celle de la musculation et du volleyball. Le nombre d’adeptes s’élève à environ 160’000 et il ne cesse de progresser. Parmi ceux-ci, on dénombre 89% de femmes. Une situation paradoxale: en Inde, le yoga est principalement pratiqué par des hommes. Mais d’après plusieurs professeurs, la gent masculine serait en forte progression depuis quelques années. Quant à l’âge moyen des participants, les statistiques le situent à 49 ans. Les enseignants observent une fourchette très large, qui va de 18 à 70 ans environ, avec une augmentation récente des 25-35 ans.

Le yoga qui se pratique en 2010 n’a plus grand chose à voir avec celui des années 60. Synonyme à l’époque de contre-culture spirituelle, il privilégiait la méditation et était associé à la découverte de l’Orient. Beaucoup plus physique que méditatif, le yoga actuel a évolué vers la recherche de performance et d’équilibre. «A l’époque, les enseignants devaient pousser leurs élèves pour qu’ils fassent des postures, raconte Stéphane Bonvin. Maintenant, ils doivent les freiner!»

Dans un monde de compétition et de performance, le yoga se pratique rapidement, à l’heure du lunch ou entre deux meetings. «Avec ces exercices, on cherche à mieux gérer son stress, à tonifier ses muscles et à être plus performant intellectuellement, précise Stéphane Bonvin. Le côté spirituel représente un petit plus, que l’on emporte avec soi après les cours. Mais chacun ne prend que ce qu’il souhaite.»

Il n’est dès lors pas étonnant que de plus en plus d’entreprises proposent des cours de yoga à leurs employés. Récemment, c’est même l’institut lausannois IMD qui a introduit la méditation et le yoga dans son programme de cours pour les top managers.

L’évolution du yoga vers une recherche de performance vient des Etats-Unis, où l’influence de certaines stars, comme Madonna ou Julia Roberts, a été prépondérante. «Elles ont montré que le yoga n’était plus ringard, et qu’il permettait de muscler son fessier», commente Stéphane Bonvin, pour qui la vague du yoga va encore progresser. Il est rejoint dans ses propos par Rick Bendeck, fondateur de l’école Soluna à Genève: «Aux Etats-Unis, 15 millions de personnes pratiquent le yoga. Comme toutes les tendances qui viennent d’outre-Atlantique, le yoga prendra cinq à dix ans pour s’imposer pleinement ici.»

En Amérique, le yoga est devenu une industrie, avec un chiffre d’affaires estimé à 3 milliards de dollars et des méthodes brevetées, des DVD, des livres, des marques d’habits ou encore des magazines. Les choses vont-elles évoluer de la même façon en Suisse? Les avis sont partagés. Mais, depuis quelques années, on assiste clairement à une commercialisation du yoga: dans les villes romandes, les écoles pullulent afin de répondre à une demande croissante. Surtout, l’offre de cours a explosé: power yoga, yoga en anglais, yoga dans une salle à 40 degrés, yoga prénatal, pour enfants ou adolescents, yoga des yeux, yoga du dos, yoga assis, ou yoga pour femmes ménopausées… «On trouve tous les excès, tels que l’aquayoga ou le doga (faire du yoga avec son chien!)», déplore Patric Pop, fondateur de l’école genevoise Innercityoga. «Certains types de cours sont justifiés, poursuit Selma Ertem, de l’école Ooom à Lausanne. Les enfants ou les femmes enceintes ont besoin de cours spécifiques. Mais pour le yoga du dos par exemple, c’est de l’abus: tous les yogas sont naturellement bénéfiques pour le dos.»

Ce ne sont pas seulement les cours qui se développent dans le domaine du yoga: une boutique en ligne, Yoga-artikel.ch, a été créée en 2005, qui vend tapis, vêtements, livres et divers accessoires. Ivo Baumann, son fondateur, confirme que son chiffre d’affaires est en forte augmentation. Des festivals de yoga ont été organisés pour la première fois à Lausanne ou à Zurich cette année, où un magazine est désormais en vente dans les kiosques (Yoga! Das Magazin).

Cette évolution n’est évidemment pas du goût de tous les yogis suisses. Eveline Waas Bidaux, de l’association suisse de yoga, s’insurge par exemple contre le fait que la pratique physique l’emporte de plus en plus sur le côté spirituel: «Le yoga tel qu’il est enseigné dans tous ces nouveaux cours s’apparente à de la gym. Dans la pratique traditionnelle, les postures représentent un moyen pour arriver à la méditation et non un but en soi.» Armand Vitali, enseignant à Lausanne, regrette lui aussi la multiplication des offres de cours de yoga, proposés dans les fitness, dans les entreprises ou même chez les esthéticiennes, qui démontre que «l’on consomme maintenant le yoga comme n’importe quel autre sport de masse».

D’autres enseignants, comme Stéphane Bonvin, sont plus modérés face à cette évolution: «Commercialiser le yoga, l’enseigner dans des fitness, pourquoi pas? Tant que l’on cherche à apporter du bien-être aux gens, cela ne me pose pas de problème.» Rick Bendeck va encore plus loin: «Le yoga ne fait que s’adapter à nos sociétés. Cela fait longtemps qu’il s’est distancé des traditions indiennes, c’est donc ridicule de s’y référer constamment et de distinguer le vrai du faux yoga.»

La question de la formation des enseignants de yoga est également devenue une pierre d’achoppement. Pour Eveline Waas Bidaux, «Elle est très inégale en Suisse car le métier n’est pas protégé. Ceux que nous formons suivent un programme de 600 heures de cours sur quatre ans. Alors que d’autres vont deux mois en Inde chez un gourou pour obtenir leur diplôme. Cela engendre des problèmes de sécurité durant les cours, avec des gens qui peuvent souffrir du dos ou de la nuque pour avoir tenu des postures peu adéquates.»

Une majorité de professeurs de yoga en Suisse a suivi des formations courtes de quelques mois. Mais peuvent-ils vraiment gagner de l’argent avec cela? Il semblerait que la situation ne ressemble par encore à celle des Etats-Unis, où John Friend, le fondateur de l’Anusara Yoga, a créé un véritable empire avec des salles de yoga intégrées dans des centres commerciaux, qui accueillent des événements de plusieurs milliers de participants. La plupart des enseignants romands confient qu’en dessous de 200 élèves, il est difficile de tourner. Le prix de l’heure s’élève entre 20 et 30 francs, suivant le standing de l’établissement.

«La majorité des professeurs enseignent le yoga par passion et pas par appât du gain, car on ne devient pas riche, dit Eveline Waas Bidaux. Ce qui n’empêche pas certains de rouler en Porsche et de facturer 500 francs de l’heure à leur clientèle de Cologny.» Rick Bendeck, de l’école Soluna, confirme: «Oui, certains se font beaucoup d’argent avec le yoga, mais ils restent une minorité en Suisse.» Pour gagner de l’argent avec le yoga, les expériences américaines le confirment, il faut miser sur les produits annexes. «Les boutiques des écoles rapportent souvent beaucoup plus que les cours», explique Patric Pop d’Innercityoga, qui vient de produire un DVD de yoga pour femmes enceintes avec son épouse. Les vêtements, DVD, les livres ou les tapis de yoga sont pour l’instant majoritairement produits à l’étranger, aux Etats-Unis ou en Allemagne. Une situation qui pourrait évoluer au vu de la croissance de ce marché en Suisse.
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Les différents types de yoga

Ni religion, ni philosophie, le yoga désigne un vaste ensemble de pratiques nées en Inde il y 5000 ans. Son objectif consiste à réunir le corps et l’esprit. Les postures, pratiquées en Occident, appelées Hatha yoga, ne représentent qu’une étape sur les huit censées amener à la contemplation divine: les premières étapes sont liées à des règles de comportement comme la tolérance, le respect ou l’harmonie. Viennent ensuite les postures, la respiration, la concentration et la méditation. «Le yoga représente une quête monumentale et unique dans l’histoire de l’humanité, analyse l‘éditrice vaudoise Sylvie Berti Rossi, qui a publié il y a deux ans un coffret de sept volumes consacrés au yoga. Jamais dans l’histoire, les hommes n’ont exploré la voie spirituelle avec autant d’ardeur.»

Le yoga a passablement évolué au XXe siècle, où il a connu une renaissance en Inde et une influence occidentale. Chaque style de yoga combine les postures, les exercices respiratoires et la méditation de façon plus ou moins énergique ou douce. Voici certains des plus courants en Occident.

Ashtanga
Appelé aussi Power yoga, il reprend les mêmes postures que le Hatha mais les travaille de façon plus athlétique.

Iyengar
Cette méthode insiste sur l’alignement des membres et de la colonne vertébrale. On y utilise des ceintures et d’autres instruments pour effectuer les exercices.

Kundalini
Cette approche travaille sur la conscience méditative. Elle mélange postures, souffle et chants.

Viniyoga
Ce yoga se caractérise par l’intégration du mouvement à la respiration et par un enseignement personnalisé qui s’adapte à chaque individu.

Les cours tels que «yoga pour femme enceinte» ou «pour enfant» ne représentent pas des types des yoga, mais une adaptation des postures, en général de Hatha yoga, à un public particulier.
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En chiffres

5000 ans
L’âge du yoga.

160’000
Le nombre d’adeptes en Suisse.

89%
La proportion de femmes qui pratiquent.

25 francs
Le prix moyen de l’heure collective.

18 mia de dollars
Le chiffre d’affaires mondial du yoga.
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Le yoga vraiment bon pour la santé?

Les adeptes du yoga en sont convaincus, une pratique régulière améliore la santé à long terme. Elle stimule de nombreuses fonctions corporelles, comme la circulation sanguine, mais également les capacités intellectuelles. En outre, la mobilité des articulations est favorisée. Il est toutefois difficile de définir précisément les bénéfices physiques du yoga. Des études ont montré que le yoga améliorait la santé des asthmatiques, diminuait les risques cardiovasculaires, qu’il permettait de lutter contre le stress et l’anxiété, qu’il améliorerait la qualité du sommeil, ainsi que la qualité de vie des cancéreux. Il aiderait même à lutter contre la dépression et les dépendances.

Des protocoles de recherche scientifique restent toutefois ardus à mettre en place pour le yoga. «Aux yeux de l’autorité, le yoga ne constitue pas une médecine, souligne Karim Boubaker, médecin cantonal vaudois. Il s’agit tout au plus d’une activité physique. Mais en tant que médecin, je ne peux que recommander ces exercices issus d’une pratique ancestrale. Il s’agit néanmoins de les exécuter avec prudence, en consultant son médecin au préalable. Il faut choisir un rythme et un enseignement qui correspondent à son état de santé.»

De leur côté, certains assureurs maladie, comme la CSS ou Innova, n’ont pas attendu les résultats scientifiques pour rembourser les cours de yoga dans certaines de leurs complémentaires. La preuve par la rationalité économique?
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«Nous assistons à une christianisation du yoga»

Historienne des religions au Centre intercantonal d’information sur les croyances à Genève et spécialiste du yoga, Séverine Desponds explique que, au travers du yoga, les pratiquants recherchent une relation intime et individuelle au divin, éloignée de la contre-culture des années 70.

Le yoga connaît un succès grandissant en Suisse. Les adeptes y trouvent-ils une nouvelle voie spirituelle?

Oui, pour certains adeptes, le yoga est une quête du divin. Elle correspond à la tendance actuelle qui associe le religieux à l’intimité et pas à une institution. En matière de religion, les gens ne veulent plus se conformer à des règles, mais faire ce qu’ils ressentent de façon individuelle. Parce qu’il est basé sur des exercices physiques, le yoga amène à vivre une spiritualité intime. Mais il ne remplace pas la religion, il s’y additionne plutôt. Cela correspond à ce que l’on appelle le «butinage religieux»: les gens prennent ce qui leur convient dans chaque religion. A notre époque, il n’y plus de fidélité confessionnelle: on peut faire du yoga à midi, lire des poèmes bouddhiques le soir, puis se marier à l’église le samedi.

La situation a donc évolué depuis l’époque «baba cool»…

Oui car le yoga représentait alors une contre culture religieuse, une découverte de la spiritualité orientale. Sa pratique était plus méditative et moins physique. C’était l’époque des gourous à barbes fleuries. Certains pratiquants se sont convertis à l’hindouisme par le biais du yoga. Pour cette raison, des mouvements chrétiens se sont fortement opposés au yoga. Maintenant, la situation s’est inversée et nous assistons plutôt à une christianisation du yoga. Notre analyse des participants du dernier congrès européen de yoga le montre, les enseignants revendiquent leur héritage chrétien. De leur côté, les Eglises proposent de plus en plus de pratiques méditatives en groupe, c’est du christianisme new age en quelque sorte.

En même temps, la pratique du yoga n’est-elle pas de moins en moins religieuse?

Le yoga n’a jamais été aussi sécularisé que maintenant. Il s’est largement détaché des sphères ésotériques et parapsychiques pour entrer dans celles du loisir et des vacances. L’objectif du yoga est d’avoir un beau corps, sain et fort et on l’enseigne dans des fitness. Ce phénomène a débuté dans les années 70, lorsque l’Ecole-club Migros et le Club Med se sont mis à proposer des cours de yoga.

En est-on arrivé à une occidentalisation extrême du yoga?

Non, pas vraiment. Car la tension entre postures et spiritualité dans la pratique du yoga existe toujours, en Inde également. Ce que l’on confond souvent, c’est la modernité et l’occidentalisation. Beaucoup de gens l’ignorent, mais le yoga a été popularisé en Inde dans les années 30 par des culturistes de Calcutta, qui ont intégré des postures dans leurs exercices. Leur démarche était physique et très peu spirituelle. Des grands maîtres hindous se sont ensuite inspirés de leurs exercices pour y ajouter une dimension spirituelle, notamment pour répondre à la demande occidentale. Ce sont donc les culturistes qui ont contribué à la renaissance du yoga en Inde, dans le contexte du mouvement d’indépendance notamment.

C’est étonnant…

Ces recherches sont méconnues, il est vrai. Mais le premier maître de yoga indien qui est arrivé en Suisse en 1948 était un étudiant en médecine qui avait appris le yoga à partir des publications culturistes. Cela dit, l’enseignement du yoga s’est adapté à son public en Inde aussi: Krishnamacharya, enseignant de yoga et brahmane, pratiquait un yoga plus physique ou plus spirituel selon la santé, l’âge ou même la caste de ses élèves.
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La question brûlante des brevets

La question des brevets représente une polémique brûlante au sein de la communauté des yogis, avec des enjeux économiques importants pour les multinationales et les stars de yoga, ainsi que pour l’Inde, qui tente de les contre-attaquer avec des hordes de scientifiques. Ces derniers ont pour objectif d’effectuer un inventaire global du yoga.

L’une des méthodes brevetée les plus connues dans le monde est celle de Bikram, un maître indien exilé en Californie, qui a développé le «hot yoga», la pratique de 26 postures dans une salle à 40 degrés. L’une de ses élèves, Karine El Debs, est sur le point d’ouvrir une école à Genève. Mais elle ne met pas tout le monde d’accord: «Cela me déçoit de déposer des brevets pour des postures vieilles de plusieurs millénaires. On s’éloigne trop de la philosophie du yoga», confie Selma Ertem, de l’école Ooom à Lausanne.

Karine El Debs ne partage évidemment pas cet avis: «Le fait d’avoir un brevet assure au client qu’il va suivre un programme précis, avec ses effets bénéfiques garantis, et que je dispose d’une formation adéquate.» Une chose est sûre, des centaines d’adeptes genevois, en majorité des expatriés, attendent avec impatience qu’elle ouvre son école.
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Une version de cet article est parue dans l’Hebdo.