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Deux kilos de bactéries dans votre corps

Dix fois plus de microbes vivent dans notre corps que de cellules humaines. Armés de la génétique, les chercheurs commencent enfin à connaître ces étrangers qui vivent en nous.

Vous voyez votre corps comme une entité bien définie, bien délimitée — un territoire marqué par votre ADN? Grossière erreur. Vous n’êtes pas seul, et de loin. Dans votre corps et à sa surface pullulent au grand minimum plus de cent billions de microbes étrangers, soit dix à cent fois plus que de cellules humaines.

Dans notre estomac et sur notre peau vivraient un ou deux milliers d’espèces de bactéries, pour un poids total de quelque deux kilos. Si les nouveaux-nés naissent vraisemblablement stériles, nous développons dès le premier jour une flore intestinale individuelle. Comment croire encore à la notion d’individu?

L’homo sapiens en tant qu’espèce isolée est un concept abstrait, voir désuet. Il faut désormais se voir comme un véritable écosystème, une cohabitation forcée mais heureuse avec une multitude de bactéries, virus et autres champignons.

Se laver les mains et se brosser les dents n’y changera donc rien: jamais vous ne vous débarrasserez de ces microbes.

Tant mieux d’ailleurs, car nos hôtes, loin d’être des ennemis porteurs de maladies, jouent des rôles essentiels dans notre fonctionnement. «Dans nos intestins, des bactéries dégradent des toxines, d’autres transforment en énergie la cellulose des plantes, indique Karen Nelson, directrice du campus de Maryland du J. Craig Venter Institute et spécialiste du «microbiote» humain. Sans ces bactéries, manger de la salade n’apporterait pas la moindre calorie!»

Et sur la peau, d’autres microbes nous aideraient à maintenir un pH constant ou nous protègeraient d’agents pathogènes. Au conditionnel, car ces étrangers qui nous habitent restent encore très mal connus: très difficiles à multiplier en culture, ils sont jusqu’à présent passés entre les mailles des filets des scientifiques. Au final, une situation paradoxale: l’homme connaît mieux certaines bactéries extrêmophiles florissant près des volcans sous-marins que les nombreux hôtes qui colonisent nos intestins.

Cela va changer. Emboîtant le pas à son Human Genome Project, le National Institutes of Health américain a lancé en 2007 le Human Microbiome Project (HMP). Cet effort de cinq ans et 115 millions de dollars s’attaque au décryptage du génome des microbes humains pour enfin les cataloguer et mieux comprendre leur fonctionnement. Car pour l’instant, même le nombre d’espèces reste mal connu. En ligne de mire: des maladies suspectées d’être liées à des dysfonctionnement de notre flore microbienne, telles que le diabète, l’asthme, les ulcères ou encore l’obésité (lire le complément ci-dessous).

En 2010, le consortium américain annonce ses premiers résultats et publie dans «Science» le génome de 178 microbes que les chercheurs ont réussi à cultiver après leur prélèvement dans le tube digestif, la bouche, la peau, le nez et le vagin. «Nous n’en sommes encore qu’au tout début, avec le catalogage des gènes et la construction d’un arbre phylogénétique pour ordonner les espèces, explique Karen Nelson, coordinatrice principale de l’article. Ce premier résultat concerne des personnes saines. La prochaine étape impliquera des patients malades afin de trouver des corrélations entre pathologies, gènes et flore intestinale. Notre but consiste à dénombrer au moins 900 espèces.»

Pour classer les espèces, les scientifiques suivent une approche technique standard en taxinomie: ils se concentrent sur le gène 16S, un segment d’ADN contenu dans les ribosomes (et non pas dans le noyau des cellules). Une différence d’au moins 2% sur les 1500 bases composant le gène définit alors une nouvelle espèce.

Mais c’est à BGI, un champion chinois en séquençage génétique, que l’on doit les chiffres les plus spectaculaires, publiés en mars 2010 dans «Nature». En analysant les fèces de 124 Européens, les chercheurs ont recensé plus de 3.3 millions de gènes microbiens — soit cent cinquante fois plus que le nombre de gènes humains, estimé entre 20’000 et 25’000. «Cette étude a procédé en vrac par «métagénomique», commente Karen Nelson, c’est-à-dire par l’analyse de tous les gènes trouvés dans l’échantillon. On tente ensuite de définir empiriquement les espèces en s’appuyant sur des techniques statistiques et bioinformatiques.»

Les chercheurs estiment avoir identifié quelque 85% de toutes les bactéries présentes chez leurs sujets: un millier d’espèces différentes, dont 160 largement partagées entre les individus. Notre flore se révèle individuelle et régionale. «On pourrait imaginer qu’un jour un excrément permette d’identifier une personne», ajoute Karen Nelson.

L’étude génétique de nos microbes sera grandement encouragée par la baisse vertigineuse des coûts du séquençage: un génome humain revient aujourd’hui à quelques dizaines de milliers de dollars, alors qu’il avait coûté 300 millions de dollars en 2003. Mais la tâche sera titanesque: analyser, identifier et classer ces milliers de sous-locataires — et surtout comprendre ce qu’ils font au juste chez nous. Arthur Rimbaud avait bien raison: «Je est un autre».
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Flore intestinale et obésité: comment y voir plus clair

Les personnes obèses possèdent une flore intestinale différente de celles d’individus minces. Pour déterminer si nos microbes contribuent à l’obésité, Jeffrey Gordon de la Washington University School of Medicine a procédé à une remarquable série d’expériences.

Deux types de flores intestinales ont d’abord été transférés dans des souris stériles (sans germes). «La première a été prélevée sur des souris minces, explique le chercheur contacté par email. La seconde provient d’animaux obèses, et les récipients ont alors commencé à accumuler de la graisse.» La flore intestinale d’un animal gras peut donc induire l’obésité chez un congénère mince à l’origine.

Mais l’histoire est plus complexe. Les chercheurs ont ensuite travaillé avec des souris «humanisées» par la transplantation d’une flore intestinale humaine. Deux types d’alimentations leur ont été donné: soit un régime «sain» (pauvre en graisse et contenant des sucres complexes tels que l’amidon ou la cellulose), soit un régime riche de type occidental (graisse abondante et sucres simples comme le glucose ou le fructose). Résultat: le régime gras a déclenché chez les rongeurs une prise de poids ainsi que des changements de leur flore intestinale.

«Dans une dernière étape, nous avons transférée la flore de ces souris humanisées à des rongeurs stériles, poursuit Jeffrey Gordon. Nous avons observé une différence: les souris ayant hérité la flore provenant du régime riche ont accumulé plus de graisse que dans le cas du régime sain.»
En résumé: un régime riche en graisse peut changer la flore intestinale et induire ainsi une accumulation supplémentaire de graisse. Pour Karen Nelson, «entre l’obésité et les microbes humains, c’est l’histoire de l’œuf et la poule».
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Une version de cet article est parue dans Reflex Magazine (no 11).