LATITUDES

Le bio pas toujours écolo

Le bio est-il vraiment bon pour la santé et l’environnement? Entre l’idéalisme du consommateur et la réalité, il existe un fossé. Explications.

Avec ses belles Heidi aux joues roses plantées dans un paysage bucolique, l’agriculture biologique représente le retour à une nature authentique — forcément meilleure pour le corps autant que pour l’esprit. C’est le message que font passer non seulement les mouvements écolos, mais également désormais les grandes surfaces. En réalité, l’équation «bio = protection de l’environnement = alimentation saine» est des plus approximatives et cache de multiples facteurs comme le transport, les engrais utilisés ou encore la fraîcheur des aliments. L’agriculture biologique ne représente que l’une des étapes séparant la production d’un aliment de sa consommation.

«Le bio est une méthode d’agriculture et non un simple retour à la nature», souligne Sibil Buschauer de Bio Suisse, la fédération des entreprises agricoles biologiques. La loi suisse stipule que les cycles et processus naturels doivent être pris en considération dans la production et la préparation de produits biologiques et que l’utilisation de matières auxiliaires et d’ingrédients chimiques de synthèse doit être évitée. «Tout part d’un sol vivant et riche qui nourrit les racines des plantes, explique Walter Vetterli, ingénieur agronome au WWF. C’est très différent de l’agriculture intensive qui ressemble aux cultures hydroponiques de nos plantes vertes d’appartement. Dans ce cas, le sol est un simple support pour l’ancrage des racines, auxquelles on apporte ensuite les éléments nutritifs par l’épandage d’engrais chimiques.»

Au premier regard, les bénéfices de l’agriculture bio pour l’environnement paraissent évidents et plusieurs études ont montré que les sols sont plus vivants et favorisent la biodiversité. «Par rapport à l’agriculture traditionnelle, nous utilisons 96% de pesticides en moins et, parmi ceux-ci, surtout des produits naturels et des organismes vivants, indique Urs Niggli, directeur de l’Institut de recherche de l’agriculture biologique suisse. Le cuivre est le seul produit chimique encore utilisé, pour la vigne et les pommes de terre bio. Ce n’est rien comparé aux 400 substances chimiques autorisées dans l’Union européenne.»

Mais l’empreinte écologique globale des aliments implique de nombreux autres paramètres, tels que le type de transport, le stockage, la distribution ou encore l’emballage. En Suisse, la production locale d’aliments bio ne suffit pas à la demande, et il faut les importer. Et parfois de très loin: haricots verts du Kenya (6000 km), citrons d’Afrique du Sud (8000 km), bananes du Brésil (10’000 km)… Urs Niggli critique la politique agricole de la Confédération, qui «maintient un système de paiements directs trop favorables à d’autres techniques agricoles».

«La question de l’empreinte écologique d’un produit bio est complexe et représente un enjeu important, reconnaît Sibil Buschauer de Bio Suisse. Le transport sur de longues distances peut rester une option dans certains cas. Notre organisation interdit le transport par avion, tout comme l’importation des produits frais d’Outre-Mer, sauf quelques exceptions.» Pour Walter Vetterli du WWF, l’agriculture biologique produirait moins de gaz à effet de serre: «Des études comparatives montrent que le bio exige 59% d’énergie fossile en moins, car il faut beaucoup de pétrole pour produire engrais et pesticides chimiques.» Selon les cas, des kiwis bio importés de Nouvelle-Zélande par bateau peuvent se révéler moins énergivores qu’un produit régional cultivé avec des engrais chimiques. Pour consommer bio et écolo, il faut donc acheter, en saison, des produits bio locaux non emballés — et faire ses courses à vélo…

Des bénéfices incertains pour la santé

Une majorité de consommateurs considère les produits bio comme meilleurs pour la santé. «Les aliments bio ne contiennent pas de pesticides, ou seulement des traces, observe Patrick Edder, chimiste cantonal genevois. Au contraire, les agriculteurs traditionnels ont tendance à utiliser toujours plus de substances chimiques différentes pour traiter leurs cultures, et nous ignorons encore tout des interactions entre ces produits.»

Pour ce qui est des qualités nutritives supérieures des produits bio, aucune preuve scientifique définitive n’existe encore. Une étude de l’Agence britannique des normes alimentaires parue en 2009 conclut qu’ils ne sont pas plus sains que les autres. Le projet européen «QualityLowInput Food» indique que, dans la plupart des cas, la qualité nutritionnelle des produits conventionnels est équivalente à celle du bio, mais relève que les végétaux bio contiennent davantage d’antioxydants et les produits laitiers plus d’oméga-3.

Ce résultat s’expliquerait par le fait que les fruits et légumes bio doivent développer leurs propres défenses immunitaires face aux attaques de parasites. Selon le projet européen, la relation entre nourriture biologique et santé n’est pas encore démontrée. «Apporter cette preuve nécessiterait des recherches coûteuses, dit Urs Niggli, car il faudrait une étude de cohorte portant sur plusieurs milliers de personnes.» Une tâche rendue d’autant plus ardue que de nombreux facteurs entrent en ligne de compte dans la qualité nutritionnelle des aliments: la variété, l’exposition au soleil, le type de sol et surtout le délai entre la récolte et la consommation. Bio ou pas, les épinards perdent toutes leurs vitamines C en quatre jours à température ambiante.

De nombreux nutritionnistes estiment que s’alimenter sainement passe d’abord par une grande consommation de fruits et légumes ainsi que par une diminution de la viande rouge: «Les produits bio ne sont pas plus intéressants d’un point de vue nutritif, dit la nutritionniste Sidonie Fabbi. Le type d’alimentation compte davantage. On peut tout à fait mal se nourrir avec des aliments bio et se nourrir sainement avec des produits conventionnels.»

En attendant, le marché bio croît d’environ 10% par an en Suisse et dans le monde, avec des produits plus chers que les aliments conventionnels. Ce qui fait dire à Sidonie Fabbi que «le bio sert aussi à afficher un statut social. Historiquement, les classes supérieures ont toujours cherché à se définir par leurs choix alimentaires. Quand l’humanité manquait de tout, l’opulence était une distinction. Lorsque la quantité a été donnée au plus grand nombre, c’était au tour des spécialités plus onéreuses et moins accessibles. Aujourd’hui, c’est le bio.»
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Une version de cet article est parue dans le magazine Reflex (no 11).