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Menaces sur la bulle spéculative.com

Personne n’y comprend plus rien. A chaque nouveau record de la bourse américaine, les experts jurent que ça va s’arrêter là. Mais non, à chaque fois, elle repart encore plus haut. Pour 1000 dollars placés en 1995 sur le Nasdaq, le marché des valeurs technologiques, on atteint maintenant 10’000 dollars. En cinq ans, l’indice composite s’est multiplié par dix. Dopé par le boom des technologies de l’information, l’indice Dow Jones de la bourse de Wall Street est passé de 5000 à 11’000 points entre 1995 et 1999. Alors qu’il lui a fallu 23 ans pour grimper de 1000 à 5000 points.

Dès qu’ils entendent les mots magiques «internet», «.com» ou dotcompanies, les investisseurs se ruent sur des entreprises déficitaires dont ils ne comprennent même pas le métier. L’action Yahoo a triplé entre le premier mai et Noël. La société Sycamore Networks, obcur fabricant d’interrupteurs optiques pour l’industrie informatique, pèse maintenant aussi lourd que tout le département automobile de General Motors. Jamais la valeur des titres ne s’était autant éloignée des bénéfices réels des sociétés.

L’engouement est identique en Suisse, même si l’industrie internet y est encore embryonnaire. Seuls quelques titres en connexion avec le web sont cotés en bourse. Eh bien, tous ces titres ont au minimum doublé durant les douze derniers mois, alors que le marché suisse stagne misérablement! Société de services sur le net, Distefora a enregistré une hausse de son titre de 20 à… 800 francs en une année.

Tout se passe comme si on pouvait acheter sans risque n’importe quel titre internet, attendre qu’il monte pour ensuite le revendre à plus bête que soi. Un pur comportement spéculatif. Les experts parlent de bulle financière depuis des années déjà. Mais loin de s’écrouler, les marchés se sont envolés vers de nouveaux sommets. Et ceux qui ont vendu leurs titres à la première mise en garde s’en mordent les doigts.

Le mensuel américain Fortune épingle quelques spécialistes parmi les plus fameux. Chef stratégiste chez Oppenheimer, Michael Metz disait en juillet 1995 au sujet de l’indice Dow Jones à 4715 points: «Ce n’est qu’une manie.» En mai 1998, le Dow a pratiquement doublé pour atteindre 9161. Michael Metz prend sa retraite et déclare: «J’étais fatigué d’avoir tort. »

En octobre 1996, Charles Clough, chef stratégiste de la banque Merril Lynch, estime que le Dow à 5592 est à un sommet: «Les obligations vont maintenant faire de meilleures performances que les actions.» En 1999, le Dow crève le plafond à 11090 et Charles Clough annonce son intention de quitter la banque: «Je veux changer de style de vie.»

En théorie, le cours de l’action reflète ce la société peut gagner. Il s’agit de la somme des bénéfices à venir ajustés au taux d’intérêt. Connu sous le nom de coût du capital, l’ajustement traduit l’érosion de la valeur de l’argent en fonction temps. Un dollar de bénéfice encaissé dans le futur vaut moins qu’un dollar encaissé aujourd’hui. Bref, faisons confiance au magazine américain Fortune qui livre les estimations suivantes.

Prenons le géant cybermédiatique AOL. Pour justifier le niveau actuel de l’action, il faudrait que les bénéfices augmentent de 67%, chaque année jusqu’en 2010. Dans le cas de Yahoo, le niveau du cours correspond à une progression de 95% par an. C’est-à-dire que les bénéfices doivent pratiquement doubler, chaque année, durant dix ans. A titre de comparaison, Microsoft a réalisé «à peine» 40% d’augmentation annuelle du bénéfice durant les dix dernières années.

Faut-il en déduire que les valeurs de la bourse américaine sont dans une phase de surévaluation aiguë? Si c’est le cas, le krach boursier est à craindre. Mais les avis divergent. Certains analystes sont persuadés que les marchés se comportent de manière totalement irrationnelle. D’autres pensent que ce sont les données du problème qui ont changé.

Il y a d’abord un afflux massif de fonds à Wall Street. Il s’agit de l’argent épargné par les baby boomers pour leur retraite qui est maintenant investi en bourse par les caisses de pension. Les cours pourraient donc continuer à grimper, alimentés par l’épargne de la génération née après la deuxième guerre mondiale.

Mieux: les sociétés internet seraient des entreprises dont la qualité exceptionnelle justifie le prix des titres. Elles sont actives un domaine nouveau. Un domaine où les entreprises pourraient croître beaucoup plus rapidement que dans les secteur traditionnels. Avec la mondialisation des échanges et les nouvelles technologies, les compagnies ont instantanément accès à l’ensemble de la planète. Et les premiers à proposer un service jusqu’ici inexistant sont quasiment sûrs de dominer le marché. Comme par exemple Amazon.com dans la libraire on-line.

Faut-il jeter aux orties les vieux modèles d’évaluation dès que l’on parle de New Economy? Peut-être… Le problème, c’est que même dans ce cas-là, les vedettes du marché devraient toutes devenir leader mondial pour justifier le prix actuel de leurs actions. Il y a sans doute un ou deux futurs Microsoft parmi les valeurs du Nasdaq. Mais pas beaucoup plus.