KAPITAL

Kudelski contre les pirates

Grâce au procédé d’encryptage qu’il loue aux chaînes payantes, le groupe suisse a retrouvé le chemin du succès. Il cherche désormais à étendre ses activités à la TV mobile. Portrait d’une entreprise qui sait se réinventer.

Kudelski va mieux. Après une année 2008 dans les chiffres rouges (une «traversée du désert» selon son CEO André Kudelski), le groupe suisse a renoué avec les bénéfices.

Sa division Digital TV, qui commercialise des dispositifs d’encryptage pour les chaînes payantes, a récemment signé plusieurs nouveaux contrats avec d’importants opérateurs étrangers: Cable One aux Etats-Unis, HD+ en Allemagne, Abertis en Espagne, BGCTV en Chine ou encore SkyLife en Corée. Elle a également renouvelé son contrat pour dix ans avec EchoStar, lié à Dish Network, le troisième diffuseur de TV payante aux Etats-Unis.

Surtout, les résultats positifs de 2009 et du premier semestre 2010 confirment que le changement de business model de Kudelski porte ses fruits: ne plus vendre les dispositifs d’encryptage mais les louer sous la forme d’une carte à puce régulièrement mise à jour. Derrière cette transition se cache la lutte discrète mais incessante livrée aux pirates qui commercialisent des décodeurs illégaux.

«Un dispositif d’encryptage a une durée de vie de quelques années seulement avant d’être piraté, confie Daniel Herrera, directeur de la communication chez Kudelski. Or, avec la formule à la vente, ce sont les opérateurs TV qui décident quand remplacer leur dispositif.»

Autrement dit, certains opérateurs continuent à émettre avec des vieux systèmes piratés, par mesures d’économie. Cette situation n’a plus lieu d’être avec le modèle locatif: désormais, la responsabilité des mises à jour des systèmes de sécurité se trouve du côté de Kudelski. Un concept apparemment convaincant puisque la majorité des clients de l’unité Digital TV est maintenant passée en mode locatif. «La location nous permet d’assurer un revenu bien plus régulier et prévisible», détaille à ce propos Daniel Herrera.

La transition a néanmoins été douloureuse pour l’entreprise vaudoise. «Le passage au modèle locatif a reporté les revenus vers le futur sans diminuer les dépenses, explique Michael Foeth, analyste chez Vontobel. Les investisseurs n’avaient plus aucune visibilité sur les futurs bénéfices.» Résultat: une grosse inquiétude du côté des actionnaires et des analystes — et un titre qui avait plongé de près de 70% en 9 mois en mi-2007.

Le chiffre d’affaires et les revenus sont aujourd’hui retournés à leur valeur historique, selon Michael Foeth, et l’action a doublé en cinq mois durant l’été 2009. «La société est historiquement assez volatile, avec de grosses dépenses en R&D», précise l’analyste. «Nous privilégions davantage le long terme que les annonces de résultats trimestriels», se défend Mauro Saladini, CFO du groupe. En effet: malgré les résultats et perspectives robustes communiquées à la fin août 2010 les investisseurs ont boudé l’action, qui a perdu 9% le jour de l’annonce.

Mais Kudelski a de l’appétit: le groupe veut aujourd’hui étendre ses activités au-delà des systèmes de protection de contenu TV. Pour cela, il compte bien profiter des nouvelles fonctionnalités interactives offertes par la technologie numérique et ne pas rater le virage de la télévision mobile. Avec la récente acquisition de la société américaine OpenTV, spécialisée dans les technologies interactives, Kudelski poursuit son entrée dans ce domaine.

«Notre stratégie consiste à concevoir des modèles d’affaires pour permettre aux opérateurs de monétiser leur contenu, comme par exemple offrir des vidéos à la demande, des publicités personnalisées ou encore des guides de programmes électroniques consultables sur téléviseur, indique Mauro Saladini. Nous voulons proposer à nos clients des solutions globales qui intègrent à la fois l’encryptage et ces fonctionnalités additionnelles.»

Autre défi: anticiper la convergence TV-internet. Car les émissions de télévision ne se regardent plus uniquement sur les télévisions. «Nous développons des outils pour gérer la diffusion de contenu vidéo sur différentes plateformes, qu’elle soit TV, internet ou encore mobile», explique le CFO. Pour permettre le visionnement de programmes payants sur téléphone portable, le groupe veut intégrer ses modules d’accès directement dans les cartes SIM et travaille avec les fournisseurs de téléphones mobiles ainsi que des opérateurs tels que Vodafone ou le consortium chinois CMMB. Un centre de R&D a d’ailleurs été créé dans ce but à Pékin. Il compte déjà quelque 300 d’employés.

Cartes bancaires avec clavier

Kudelski ne s’occupe pas uniquement de systèmes pour la télévision payante. L’une de ses filiales, NagraID, a récemment développé une carte bancaire avec clavier. Son but: générer un mot de passe à usage unique pour authentifier une transaction en ligne. Cette carte pourrait ainsi remplacer les systèmes actuels, comme par exemple les lecteurs de carte ou l’envoi d’un SMS contenant un code secret.

Le premier essai a été effectué par la banque turque Yapi Kredi au printemps dernier, qui a émis un millier de cartes Visa avec clavier et mini-écran. En juin dernier, le système a été homologué par MasterCard, qui lancera une carte de débit avec TEB — une autre banque turque.

Kudelski occupe aussi le marché des accès publics avec ses filiales SkiData et Polyright (badges électroniques). Acquise en 2001, l’entreprise autrichienne SkiData équipe les remontées mécaniques ainsi que des stades et des parkings. Elle a fourni six des dix stades de la Coupe du monde de football 2010 et a récemment annoncé un nouveau contrat pour le parking de l’aéroport de Dallas.

«Le domaine du public access est intéressant pour Kudelski, dit Michael Foeth de Vontobel, mais il rapporte des marges inférieures à la télévision digitale.» Un avis partagé par Goldman Sachs, qui relève des performances réduites pour cette division.

Avis d’analystes:

«L’Europe passe au digital, ce qui générera de la croissance»

Une fois achevée, la migration vers le modèle de location des cartes de cryptage a remis en selle Kudelski, selon Michael Foeth de la banque Vontobel, qui recommande l’achat depuis novembre 2009. Il donne un prix cible de CHF 37.-. «C’est un domaine hautement technologique et en constante évolution, note l’analyste, mais Kudelski est plutôt innovateur et a longtemps été en avance.»

Il se partage le marché avec l’Anglais NDS, sur lequel il a récemment gagné des parts de marché. Ce dernier appartient en partie à Newscorp, le groupe de médias de Rupert Murdoch. «Ses membres restent captifs de NDS, mais d’autres opérateurs préfèrent ne pas entrer dans le giron de Murdoch et se tournent vers Kudelski, note Michael Foeth. C’est davantage le service à la clientèle que la technologie qui peut faire gagner des parts de marché à Kudelski. Pour l’investisseur, il faut suivre le développement de la TV digitale et en particulier les infrastructures. L’Europe passe de l’analogue au digital, ce qui générera forcément une croissance.»

Credit Suisse est également positif (Buy, cible à CHF 37) et compte sur une croissance soutenue par le déploiement en masse de programmes payants sur les réseaux de TV numérique terrestre (TNT) et par satellite. La banque s’attend à ce que les nouveaux marchés de la TV sur internet, TNT et TV mobile finissent par engranger des revenus substantiels.

Goldman Sachs donne un rating neutre ainsi qu’une cible de CHF 37. La banque américaine relève les risques de recrudescence de piratage et de perte de clientèle au profit de NDS, mais souligne qu’une accélération du passage au mode locatif chez les clients existants est possible.

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Une version de cet article a été publiée dans le magazine Swissquote.