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Tu sais ce qu’elle te dit, la Marine française?

La fille Le Pen, l’UDC et le peuple suisse semblent être sur une même longueur d’ondes. Sauf que «peuple», c’est un peu vague pour être honnête.

C’est bon d’être aimé. Et pas par n’importe qui. La Marine nationale, rien que ça. Oui, la fille Le Pen, la petite dernière du Menhir, qui n’en peut plus, à chaque votation, de s’extasier sur la stupéfiante clairvoyance, l’incomparable sagesse du peuple suisse. «Une des dernières poches de démocratie en Europe.» Voilà comment cette brave dame voit la Confédération.

Ah, ce n’est pas Kadhafi, ah, ce ne sont pas les ministres allemands et français des finances qui auraient dit ça, ni l’administration américaine. Tout occupés à nous chercher des forfaits fiscaux dans la tête, quand ce ne sont pas des fonds en déshérence, ou des évasions tout aussi fiscales. Ces gougnafiers prétentieux — ces élites méprisantes, dirait Marine — ne savent plus rien respecter, même le bel, l’ancestral artisanat façon UBS. Heureusement, Marine est là («Ah! reste encore dans mes bras!»), heureusement, Marine nous aime.

Il est vrai qu’entre ces trois là (le peuple suisse, l’UDC et la Marine), les points de convergence semblent innombrables: haro sur l’Europe et son flageolant euro, sur la mondialisation, l’islamisme, l’immigration forcément criminelle. Il faut dire que, tout comme l’UDC, la fille Le Pen fait tout pour mettre de l’eau claire dans le sombre brouet de l’extrême droite classique: fini le complot judéo-maçonnique — et d’ailleurs, à part Freysinger, qui lit encore Barrès ou Maurras?

Et Marine à ce propos de préciser une fois pour toute à la télévision: «Sur la deuxième guerre mondiale, je ne partage pas les opinions de mon père». Adieu donc «point de détail» et autre «Durafour crématoire». Le corpus idéologique du fascisme est remplacé par un corpus pragmatique: à la haine abstraite du juif en tant que juif succède le rejet du musulman non pas en tant que musulman, mais en tant que musulman ici et maintenant.

L’avantage est de pouvoir fulminer sur des exemples concrets au lieu de brailler dans le vide: pour Marine, ce sera la prière du vendredi qui encombre certaines rues parisiennes, pour Oskar les musulmans accroupis en prières devant le Palais fédéral et qui «feraient mieux de penser avec leurs têtes».

N’empêche, tapis, un peu honteux, au fond de nos carnotzets et de nos abris antiatomiques, comment ne pas se sentir soudain fiers de voir une candidate à la présidence de la République française inscrire l’helvétisation des esprits et des institutions dans son programme? Tout y passe, Marine aime tout ce que nous faisons: l’instauration de la double peine (abolie par Sarkozy l’infâme), les minarets rayés de la carte, des votations populaires sur tout et sur rien — surtout sur rien.

Même si cet amour donne parfois dans l’insouciante approximation. Marine se déclare en effet «favorable à un service militaire obligatoire, non pas d’un seul tenant mais à l’image de ce qui se pratique en Suisse, une semaine tous les ans».

Il y a quand même un point où le peuple suisse ne suit ni l’UDC ni la fille Le Pen. En référendum populaire, en effet, le retour du tabac dans les lieux publics serait balayé avec bien plus de vigueur que les minarets.

On se souvient que l’UDC avait été pourtant le seul parti à s’opposer au bannissement de la clope — au nom de la liberté et de la responsabilité individuelle. Et que cette apologie de l’herbe à Nicot figure au programme du Front national: «Si on remporte l’élection présidentielle de 2012, on révisera la loi sur l’interdiction du tabac dans les lieux publics.»

Certes, ça, ce n’est qu’un des gardes du corps de Marine Le Pen, clope clandestine au bec, qui l’a dit à un journaliste suisse passant par là. N’empêche: faut-il y voir le cri du peuple enroué contre des élites fumistes mais non fumeuses?

Ou plutôt l’indice, par l’absurde, que ce fameux peuple, auquel se réfère jusqu’à plus soif toutes les Marine et tous les Oskar du monde, n’est pas une question de classe, d’instruction, de réussite sociale, d’élitisme, de bon sens ou de mérite? Mais juste une bête, mathématique et anonyme question de majorité, formable et déformable sur un infime dénominateur commun. Fût-ce celui du pire ou de l’insignifiant.