KAPITAL

Pourquoi les PME françaises choisissent la Suisse

Des centaines d’entreprises hexagonales se sont implantées en Suisse, et ce chiffre continue d’augmenter. Des délocalisations motivées par l’attrait fiscal? Pas vraiment. Enquête et témoignages.

«Il y a tout ici, la paix sociale, des matières premières de qualité, de l’air pur!» David Holder, patron de la célèbre enseigne de pâtisserie Ladurée, résumait ainsi son enthousiasme pour la Suisse, après avoir décidé d’installer son futur site de production et de recherche près du château de Gruyère.

Son point de vue est partagé par d’autres entrepreneurs français, qui choisissent la Suisse pour développer leurs affaires: «Nous constatons un intérêt de plus en plus marqué des patrons français pour la Suisse, confirme Romain Duriez, directeur de la Chambre France-Suisse pour le commerce et l’industrie. En quatre ans, nous sommes passés de 400 à plus de 550 entreprises implantées.»

Ces PME choisissent d’exiler leur activité pour des raisons variées, qui dépendent des secteurs d’activité. Contrairement à ce que l’on pense souvent, la fiscalité ne constitue pas le critère décisif d’un déménagement. «Elle n’intervient qu’en cinquième position sur une dizaine de facteurs, observe Philippe Monnier, du Greater Geneva Berne Area (GGBa). Parfois, nous constatons un afflux d’entreprises d’un pays suite à un changement de loi ou à une situation de crise politique. Et le plus souvent, il s’agit d’une décision qui s’intègre dans une stratégie à long terme.»

Ce que viennent chercher les patrons français, c’est avant tout un environnement politique et social favorable à l’entreprenariat. Comme Philip Slomian, fondateur de Toowup à Boncourt (JU), ils sont séduits par l’efficacité de l’administration: «Les autorités du Jura se sont montrées particulièrement dynamiques et accueillantes. Les formalités liées à la création de mon entreprise, ainsi qu’à l’obtention des autorisations nécessaires pour s’implanter, ont été obtenues en un mois.»

La proximité des administrations, conséquence du fédéralisme, représente également un atout. «Lorsque j’explique aux entrepreneurs qu’ici j’obtiens un rendez-vous rapidement avec le ministre de l’Economie Jean-Claude Mermoud en personne, ils n’en croient pas leurs oreilles! En France, ce serait impensable», raconte Michel Conne, du Développement économique vaudois.

Fabrice Lelouvier, directeur d’Ubifrance, la mission économique française à Zurich et coauteur du guide S’implanter en Suisse, fait le même constat: «C’est un comble, mais certains entrepreneurs français me disent qu’ils se débrouillent mieux avec l’administration fédérale qu’avec celle de leur propre pays.»

Flexibilité. «Grâce à la flexibilité de l’administration, j’ai pu mettre de côté de nombreux soucis et ai pu entièrement me consacrer au développement de mon activité», poursuit Philip Slomian. Le patron de Toowup apprécie également son nouveau cadre de vie: «Avec ma famille, nous profitons de la nature, de la sécurité, ainsi que d’un système scolaire de qualité avec des classes peu chargées.»

Les entrepreneurs français ne sont pas les seuls à être attirés par la Suisse. «Nous avons de plus en plus de demandes d’Italiens, de Grecs, de Portugais ou de Belges», raconte Laurent Borella, responsable du TechnoArk de Sierre. Thierry Delaunois, fondateur de la PME belge Telecomwatchers Reporting Services est un exemple. Il a décidé d’abandonner toute activité à Bruxelles, siège de son entreprise créée en 2002, pour se concentrer depuis l’été passé à Sierre.

Ses motivations tiennent avant tout à l’environnement positif qu’il a trouvé en Suisse: «Comme certains Français, je suis très inquiet du climat économique qui règne actuellement dans mon pays. Ici, on ne me reproche pas d’être patron, il règne un consensus positif entre entrepreneurs et collaborateurs. Les autorités valaisannes nous ont aidés de façon remarquable. Le tout selon une taxation décente qui ne pénalise pas l’entreprise et le travail.»

Tout n’est évidemment pas rose en Suisse et les patrons français n’y connaissent pas toujours le succès. «L’entrepreneur désireux de s’implanter en Suisse doit bien s’entourer et mûrir sa décision», témoigne Philip Slomian. Malgré la proximité géographique, il s’agit d’un vrai changement culturel: «La Suisse est un pays dynamique tout en étant rigoureux et hyper-pragmatique, accueillant et sélectif, ajoute le fondateur de Toowup. Le rythme de travail est très soutenu: ici pas de 35 heures hebdomadaires, la semaine a 45 heures légales, avec des journées qui commencent tôt. Il n’est pas rare que les premiers rendez-vous soient fixés à 7 h.»

Les patrons français ont souvent du mal à appréhender le fédéralisme. «La Suisse peut vite apparaître complexe avec ses 26 cantons et autant de particularités, règles et codes», commente Maël Guillemot, directeur de Klewel à Martigny (VS). «Nous effectuons tout un travail d’explication et d’éducation, ajoute Romain Duriez. Les entrepreneurs doivent aussi comprendre que la manière de mener les affaires est différente: le Français louvoie davantage, alors que le Suisse est très pragmatique et va droit au but. Il n’apprécie la convivialité et la familiarité qu’après un certain temps.»
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«J’ai obtenu toutes les autorisations en un mois»

Philip Slomian, fondateur de Toowup à Boncourt (JU)

Avec sa PME Toowup qu’il a créée en 2007, le Français Philip Slomian veut transformer le marché de la mobilité: «Notre offre Toowup City propose un abonnement à 69 francs qui permet à un particulier ou à une entreprise de disposer d’un véhicule sans réservation. Nous avons calculé qu’un de nos véhicules remplace environ sept voitures particulières en ville.»
Grâce à un système inédit de géolocalisation, l’usager sait où se trouve la voiture disponible la plus proche. «L’abonné reçoit une clé qui ouvre n’importe laquelle de nos voitures. A partir du moment où il l’a ouverte, elle est à lui jusqu’au moment où il la replace sur une place Toowup.»
Alors qu’il était basé en Franche-Comté, Philip Slomian a été approché par le bureau de la promotion économique du Jura.

«Je me suis senti très écouté, encouragé et soutenu par les autorités. Les formalités ont été obtenues en un mois. Dans ce laps de temps, j’ai pu rencontrer l’administration fiscale et les banques de la place, puis trouver des locaux adaptés. Notre choix de s’établir à Boncourt a été directement influencé par la proximité immédiate de la gare TGV, qui place notre siège social au cœur de l’Europe, à 2 h 20 de Paris. L’aéroport international de Bâle Mulhouse se trouve à proximité. C’est donc un emplacement de choix pour le développement de mon activité.»
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«J’ai trouvé un environnement idéal pour l’entreprenariat»

Maël Guillemot, directeur de Klewel à Martigny (VS)

Le Breton Maël Guillemot ne s’est jamais posé la question de créer son entreprise ailleurs qu’en Suisse. «Les choses se sont faites naturellement. Je n’aurais pas eu l’idée de m’implanter dans un autre pays, car j’ai trouvé un environnement idéal pour l’entreprenariat ici.» Après des études en France et en Angleterre, Maël Guillemot a travaillé dans un centre de recherche de l’EPFL où il a mis au point les technologies qui lui ont permis de lancer Klewel en 2007. Son entreprise déménage ensuite à Martigny «car la Promotion économique du Valais m’a approché pour me proposer un très bon emplacement».

Klewel, qui emploie 7 personnes en Suisse et possède une succursale en France, propose à ses clients des solutions pour enregistrer et mettre en ligne rapidement des événements. Une interface Web et une recherche par mots clés permettent à l’utilisateur de retrouver ensuite une information ciblée. Comme les demandes de multinationales et d’organisations internationales ne cessent de croître, Maël Guillemot envisage d’engager plusieurs collaborateurs en 2011.
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Une version de cet article est parue dans PME Magazine.