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Une amende pour punir les abstentionnistes

Doit-on obliger les électeurs à se rendre aux urnes? Des politiciens de tout bord militent pour infliger une sanction financière aux citoyens qui n’exercent pas leur droit de vote.

«N’a pas voté!» A chaque élection, c’est désormais la même ritournelle: l’abstentionnisme sort grand vainqueur des urnes. Les derniers scrutins municipaux n’ont pas échappé à la règle: à Genève, six électeurs sur dix n’ont pas daigné déposer leur bulletin. Dans le canton de Vaud, ils sont sept sur dix à ne pas s’intéresser à leurs représentants municipaux… «De tels résultats sont des insultes à la démocratie, fustige Isabelle Chevalley, députée au Grand Conseil vaudois et membre fondateur du Parti vert’libéral vaudois. Au Maghreb, la population se bat et meurt pour accéder au droit de vote et nous, qui avons ce droit, nous le boudons. C’est un scandale!»

Plus largement, «au XXe siècle, la participation aux élections au Conseil national a constamment diminué», note l’Office fédéral de la statistique. Pour enrayer ce déclin, plusieurs politiciens de tout bord, comme Isabelle Chevalley ou le popiste Josef Zisyadis, militent depuis des années pour l’instauration d’une obligation de voter. «Le vote est un droit et un devoir, martèle la vert’libérale. Tout ce qui peut renforcer la participation est bienvenu. Or, l’obligation de voter a montré ses effets, là où elle a été mise en place.» Une bonne solution? En Belgique, où le vote est obligatoire sous peine d’une amende de 25 à 50 euros — et jusqu’à 125 euros en cas de récidive –, les taux de participation avoisinent 90%.

A Schaffhouse, seul canton obligeant ses électeurs à se rendre aux urnes, le taux de participation est le plus élevé de Suisse (65% en moyenne). L’amende y est pourtant modique: les électeurs qui ne se sont pas rendus aux urnes doivent payer 3 francs pour chaque absence. Une sanction qui tolère quelques excuses: service militaire, obligations professionnelles, maladie, vacances, etc.

«Les électeurs se désintéressent de plus en plus des questions politiques. Je pense que rendre le vote obligatoire pousserait les gens à s’y intéresser de nouveau, cela les responsabiliserait davantage, estime le conseiller national André Reymond (UDC/GE). Le seul problème réside dans la mise en place d’un tel système. Identifier et sanctionner les électeurs récalcitrants risque de créer des coûts administratifs supplémentaires. Je suis pour une telle mesure, uniquement si cela ne grève pas les budgets.»

Un avis qui ne fait pas l’unanimité au sein de l’UDC, ni au sein des autres partis, d’ailleurs. «L’abstention est un problème, mais le vote obligatoire est-il la bonne réponse? interroge le conseiller national André Bugnon (UDC/VD). Je ne le crois pas. Si certaines personnes n’ont pas d’opinion sur un sujet, à quoi bon les faire voter? Les bulletins d’électeurs non informés ou non intéressés risquent d’altérer les résultats. Et puis, de toute façon, si certains citoyens ne veulent pas voter, c’est dommage, mais c’est leur liberté. Plutôt que de les forcer, nous devrions nous interroger, essayer de comprendre pourquoi ils boudent les urnes. Les partis politiques, les syndics et les élus de tout bord doivent inciter les gens à voter en leur montrant l’intérêt du vote.»

Une position partagée par la conseillère nationale Martine Brunschwig Graf (PLR/GE): «Les sujets qui intéressent les gens connaissent de bonnes participations, à l’image des votations sur les minarets (53,9%, ndlr) ou relatives à l’Union européenne. A l’inverse, les sujets qui n’intéressent personne reçoivent peu de suffrages. Il faut que les politiciens et les journalistes montrent davantage les enjeux de chaque élection, leur intérêt. L’obligation ne rendra pas les élections plus intéressantes, elle nous exposera à un vote blanc massif. Et puis regardez à Schaffhouse, la participation n’excède pas 70%. Cela veut dire que 30% des électeurs préfèrent payer plutôt que de voter!»

Reste que, avec «un taux de participation de 30 à 40%, la légitimité des élus ou des votations est affaiblie, note le conseiller national Carlos Sommaruga (PS/GE). De ce point de vue, l’instauration d’un vote obligatoire pourrait être utile, mais c’est le syndrome d’un échec du processus civique, des institutions et des partis qui n’arrivent plus à mobiliser leurs électeurs. Je ne suis pas opposé au vote obligatoire, mais il me semble que c’est un masque à l’appauvrissement monumental du débat civique auquel nous assistons.»
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Une version de cet article est parue dans l’Hebdo.