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Désalinisation: la mer à boire

Alors que deux milliards d’êtres humains n’ont toujours pas accès à l’eau potable, de nouvelles méthodes permettent de dessaler l’eau de mer à bon compte. Mais les enjeux écologiques sont délicats. Enquête.

Deux milliards d’êtres humains n’ont pas accès à l’eau potable, mais près d’une personne sur deux vit non loin d’un littoral. Les premières industries de désalinisation d’eau de mer sont apparues dans les années 1960. Aujourd’hui, 17’000 usines produisent chaque jour 70 millions de mètres cubes, selon l’Atlas mondial de l’eau — soit ce que le canton de Genève consomme en une année.

Le Proche-Orient et en particulier la péninsule arabique utilise la moitié de l’eau dessalée produite dans le monde, relève un rapport de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO). Les pays européens s’y mettent aussi: la ville de Londres a récemment validé son propre projet.

Contrairement à ce que l’on pourrait penser, on ne désalinise pas l’eau de mer en enlevant le sel de l’eau de mer, mais en extrayant l’eau douce de celle-ci. «Les deux méthodes les plus utilisées sont la distillation et l’osmose inverse», explique François Maréchal, ingénieur au laboratoire d’énergétique industrielle de l’EPFL. La distillation consiste à chauffer l’eau pour récupérer la condensation qui ne contient plus de sel. L’osmose inverse est un système de filtration très fine basée sur le principe de l’osmose, qui normalement égalise les concentrations de liquides séparés par une membrane perméable. Dans le cas de la désalinisation, une pression exercée du côté de l’eau salée inverse le processus et fait passer de l’eau douce à travers la membrane.

Pour mille litres d’eau, un litre de pétrole

Le dessalage n’est toutefois pas une solution miracle. «Le principal problème est qu’il nécessite beaucoup d’énergie, commente François Zwahlen, professeur au Centre d’hydrogéologie de l’Université de Neuchâtel. Du coup, il est surtout utilisé par les pays qui possèdent des ressources pétrolières importantes ou une industrie touristique développée leur permettant de vendre assez cher l’eau aux vacanciers, comme les îles du Pacifique.»

Lorsque l’usine est la seule fourniture d’eau douce, l’augmentation de la demande énergétique de la population peut aller jusqu’à 15%, selon le magazine La Recherche. Mille litres d’eau dessalée demandent environ un litre de combustible. Coût final: entre 0,1 et 0,3 centime le litre.

Très gourmandes, les unités de dessalement par distillation sont désormais délaissées au profit de celles fonctionnant par osmose inverse, moins énergivores et aidées par l’arrivée de membranes de nouvelle génération. Les optimisations ont permis de diviser par deux les besoins énergétiques des installations en 20 ans, selon Veolia, une multinationale française spécialisée dans l’eau et le traitement des déchets. Les constructeurs couplent de plus en plus les usines à des centrales électriques, comme par exemple à Perth (Australie), où les besoins énergétiques de l’unité sont entièrement couverts par un champ d’éoliennes situé dans la région.

La Suisse se profile également. La startup lausannoise SwissINSO a mis au point une unité de désalinisation totalement autonome grâce à une alimentation photovoltaïque. «Constitué de deux containers, notre système Krystall peut fournir entre 25’000 et 100’000 litres d’eau par jour pour un coût inférieur à 0,3 centime par litre, annonce Yves Ducommun, directeur de la société. L’osmose inverse procure une eau dessalée également purifiée, exempte de germes, insecticides et autres polluants. Nous allons livrer des unités en Algérie et en Malaisie, et sommes en pourparlers avec de nombreux pays, dont Haïti».

Malgré ces initiatives, les scientifiques craignent l’impact environnemental de la désalinisation. «Le problème le plus immédiat est posé par l’élimination sans danger de la saumure (une solution de sel, nldr) résiduelle extrêmement concentrée provenant des unités de dessalement», note la FAO. Sur un litre d’eau de mer, seuls 7 dl d’eau potable sont récupérés, le reste étant formé par un substrat de sel et de différentes bactéries.

En clair: cette substance acide, rejetée à la mer, peut modifier l’équilibre marin. Même si les recherches n’ont pas encore démontré les dangers de tels rejets, le Fonds mondial pour la nature (WWF) s’en inquiète. Il craint que le dessalement ne soit qu’une «solution de facilité» pour les pays riches et qu’il détourne l’attention de solutions telles que le recyclage des eaux usées, moins coûteuses et moins agressives mais plus complexes à mettre en place.

Ronald Jaubert, professeur à l’Institut de hautes études internationales et du développement de l’Université de Genève, opine: «Il n’y a pas de pénurie d’eau sur Terre, car les ressources en eau ne diminuent pas. Cela ne veut pas dire que la désalinisation est inutile, mais elle n’est pas la réponse adéquate partout. Elle est efficace là où il y a peu d’eau et surtout d’importants moyens, comme dans les pays du Golfe. Pour le reste, elle n’a rien d’une réponse globale».

Trop cher pour l’agriculture

Surtout, le dessalement ne résout pas les demandes venant du monde agricole. «Dans le monde, 70% de l’eau est utilisée pour les cultures, poursuit Ronald Jaubert. Dans les régions qui manquent d’eau, l’irrigation constitue un enjeu fondamental. Or, le coût du dessalement reste encore trop élevé pour pallier à ce problème». Impossible de rentabiliser l’achat d’une usine de désalinisation avec la vente de blé, de maïs ou d’orge. L’Espagne fournit le seul contre-exemple: confronté à la désertification de ses territoires du sud, le pays a construit des usines près de la Méditerranée dans les villes d’Almeria et d’Alicante afin d’irriguer les champs de salades et tomates. Selon les spécialistes, la revente de ces légumes couvrirait les frais de désalinisation.

Le dessalement est devenu une industrie lucrative. En 2008, Goldman Sachs estimait le chiffre d’affaires du secteur à 5 milliards de dollars par an, avec un potentiel de croissance de 5 à 10%. Les sociétés françaises Suez et Veolia en sont des acteurs importants — tout comme le Suisse ABB, qui va prochainement installer l’équipement de contrôle électrique de la plus grande usine de dessalement d’Inde à Chennai.
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Une version de cet article est parue dans le magazine Reflex.