TECHNOPHILE

Le sexe des machines qui parlent

L’interface entre la machine et l’homme passe de plus en plus par la voix. C’est le cas avec Siri, l’assistant vocal intégré au nouvel iPhone 4S. Reste à lui choisir un sexe…

«J’ai appuyé sur le bouton “Carte” rien que pour l’entendre répéter: «Continuez environ trois kilomètres sur cette route.» Superbe. J’adorais la courte pause qu’elle intercalait après “trois kilomètres”. Elle vous disait ça comme le vers d’un poème.»

Maxwell, le personnage créé par Jonathan Coe dans «La vie très privée de Mr Sim» (Gallimard) éprouve malgré ses nombreux amis sur Facebook un terrible sentiment de solitude, et tombe amoureux d’Emma, la voix de son GPS.

Combien seront-ils à tomber amoureux ou amoureuses de Siri? Siri, l’assistant(e) vocal(e) intégré(e) au nouvel iPhone 4S. Siri, contrairement à Emma, ne se contente pas de dispenser des «tournez à gauche» et des «continuez tout droit». Siri est un moteur de recherche à qui l’on pose une question en langage courant, question que reformule et interprète Siri, qui donne ensuite la réponse. Un(e) véritable partenaire!

Hommes et femmes sont susceptibles de succomber à son charme. Car, pour une raison non encore divulguée, sa voix est masculine ou féminine selon les pays. Ainsi, les clients anglais, français ou romands dialoguent par défaut avec une voix d’homme alors que les américains, allemands ou suisses allemands le font avec une voix féminine.

Sur le site d’Apple en français, on lui attribue le pronom masculin «il»: «Siri comprend non seulement ce que vous dites, mais aussi ce que vous voulez dire. Il va même jusqu’à vous répondre. Siri est si facile à utiliser, il en fait tant que vous ne cesserez de trouver de nouveaux moyens de vous en servir. Adressez-vous à Siri comme à une personne. Siri vous dit presque tout.» L’occasion, Mesdames, d’avoir enfin une vraie conversation avec un «homme»!

Après une première phase d’étonnement admiratif (voir le nombre de personnes qui, sur You Tube, filment leurs échanges avec Siri), dialoguer avec nos gadgets deviendra un acte banal. Le choix du sexe de la voix des assistants intelligents n’est pas anodin. Les fabricants imposeront-ils un sexe ou permettront-ils à leurs clients d’opter pour la voix de leur choix, en fonction de leur propre sexe? Les femmes préfèrent-elles une voix d’homme? Et les hommes, cherchent-ils toujours, comme Mr Sim, à demeurer dans un rapport de séduction avec une interlocutrice même désincarnée? Pas sûr.

Les navigateurs automobiles ont une voix féminine et cela n’est pas allé sans poser problème, à la fin des années 90, aux conducteurs allemands de BMW. Recevoir des ordres d’une femme; cela dépassait leur entendement. Le constructeur a été obligé de rappeler tous ses modèles de GPS, après des coups de téléphones d’usagers furibonds.

«Même après que les conseillers clientèle aient tenté d’expliquer que ce n’était pas vraiment une voix de femme et que tous ceux qui avaient créé le système GPS et les instructions données étaient des hommes, les gens n’en tenaient pas compte et réclamaient une modification de la voix», décrit Cliffor Nass, de l’université de Stanford dans «The Man Who Lied to His Laptop».

Pour ce professeur de communication, les conducteurs de BMW constituent une exception. En effet, «il est beaucoup plus facile de trouver une voix féminine qui plaît à tout le monde qu’une voix masculine qui fait l’unanimité». Le cerveau serait programmé pour aimer les voix féminines. Cela commencerait dans le ventre de la mère déjà. Les fœtus réagissent à la voix de leur mère, mais pas à celle de leur père.

Une explication biologique à laquelle s’ajoute une incontestable dimension sociologique. Reflets des stéréotypes sociaux, dans le monde numérique, la voix féminine est synonyme de serviabilité et de soumission comme celle de l’ordinateur de la série «Star Trek» alors que la voix masculine est méchante et autoritaire comme dans «2001, l’odyssée de l’espace», le film de Kubrick avec l’inoubliable Hal 9000.