En Suisse, un cadre légal d’un autre âge entrave le développement des nouvelles entreprises de haute technologie. Explications
Ah, la nouvelle économie, ses technologies de l’information, ses start-up et ses jeunes entrepreneurs milliardaires! Le modèle est terriblement américain. Que manque-t-il donc à la Suisse pour qu’y fleurisse une industrie du Net prospère et dynamique? A en croire les experts, ce n’est pas tant la matière grise, ni même le capital. C’est avant tout un cadre légal.
Aux Etats-Unis, Bill Gates a trimé longtemps pour un salaire de misère avant que Microsoft lui permette d’amasser la plus grande fortune de l’Histoire. Il a dû attendre que sa société entre en bourse et que le titre s’envole. Ce qui l’a enrichi, c’est la part du capital de Microsoft qu’il détenait. Bill Gates n’est pas le seul dans ce cas. Jeff Bezos (Amazon.com), Pierre Omidyar (eBay) ou David Filo (Yahoo) ont gagné quelques milliards de dollars de la même manière.
Dans la quasi-totalité des start-up d’Amérique, le personnel est intéressé au capital. Certes, ce système de rémunération ne produit pas automatiquement des millionnaires. Il n’en reste pas moins un puissant outil de motivation. Mieux: pour les jeunes sociétés, offrir une participation au capital est la seule façon de recruter les professionnels les plus doués.
Mais malgré ses avantages évidents, la méthode est quasiment inapplicable en Suisse, faute de cadre légal adéquat.
Il y a d’abord le problème de la taxation des stock options. Les stock options sont des titres financiers qui permettent d’acquérir des actions (des parts de capital) à un moment et à un prix fixés à l’avance par contrat. Il s’agit en quelque sorte d’un pari sur la croissance de la société.
Exemple: Bob travaille comme programmeur pour un salaire plancher chez une jeune entreprise.com. Il entre en fonction en 1998 et reçoit 1000 stock options à 50 francs, à exercer le 30 juin 2003. A noter: la société ne verse pas un centime. Elle octroye simplement un droit. En 2001, l’entreprise.com entre en bourse. Le 30 juin 2003, son action atteint 250 francs. Une splendide performance. Grâce à ses stock options, Bob en obtient 1000 au prix de 50 francs au lieu de 250 francs.
Bob se retrouve donc avec 250’000 francs en poche, sous la forme d’actions. Cela représente une plus-value de 200’000 francs par rapport aux conditions fixées par le contrat. Il est ensuite libre de vendre ou de garder les actions fraîchement acquises. Pour allouer ses 1000 actions à Bob, l’entreprise.com émet de nouveaux titres et réalise ainsi une augmentation de capital.
En revanche, si l’action entreprise.com vaut 40 francs le 30 juin 2003, les stock options de Bob ne présentent plus aucun intérêt. Il s’abstiendra simplement de les exercer et personne n’aura rien gagné, ni perdu. Pour une entreprise qui démarre, les stock options ont tout de l’instrument financier idéal.
Ce qui coince dans la législation helvétique, c’est que les stock options sont taxées au moment de leur distribution et non lorsqu’on peut les exercer. Avec des start-up, cela revient à imposer une valeur qui n’existe pas encore. Bob doit donc au fisc une somme que son maigre salaire ne lui permet pas de verser. Sans oublier que ses stock options ne lui rapporteront peut-être rien…
Autre obstacle à l’intéressement des salariés au capital: la valeur nominale d’une action – celle qui est fixée à l’émission – doit s’établir au minimum à 10 francs. C’est la loi et ça complique beaucoup les affaires d’une société en pleine croissance, que nous appellerons abc.com.
abc.com se prépare à entrer en bourse sur la base d’un modeste capital de départ de 5 millions de francs. La direction souhaiterait remettre des actions aux collaborateurs. Seulement, abc.com ne peut pas émettre plus de 500’000 titres sans passer sous la barre des 10 francs de valeur nominale par action. Si abc.com attribue des titres à tout son personnel, les actions mises en vente sur le marché seront en nombre insuffisant pour satisfaire la totalité des demandeurs. A l’arrivée, abc.com ne peut pas associer les collaborateurs au développement de l’entreprise sans nuire à la liquidité de son titre.
Mais ces aberrations suisses pourraient bientôt appartenir au passé. C’est en tout cas l’objectif d’une motion déposée en automne 1999 à Berne. Le texte préconise plusieurs mesures pour encourager la création d’entreprises, dont une réforme de la taxation des stock options et la réduction de la valeur nominale minimum des actions. Le Conseil fédéral doit donner des réponses pour la fin juin.
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Mary Vacharidis, journaliste, travaille à Zurich pour la Télévision suisse romande. Elle contribue régulièrement à la rubrique Kapital de Largeur.com.
