cialis shipped from us

Un jour, le service remplacera le produit

Ralentir la consommation effrénée de matières premières tout en maintenant une croissance minimum. C’est l’objectif du concept d’«économie de fonctionnalité», qui convainc de plus en plus d’économistes. Explications.

«Economie de fonctionnalité». Par ce terme, on entend le fait de faire payer un service, ou l’usage d’un bien, plutôt que le bien lui-même, afin de réduire les flux de matières et d’énergie.

L’entreprise qui s’engage sur cette voie, également appelée «écofonctionnalité», reste propriétaire des biens mis à la disposition de ses clients et réalise son chiffre d’affaires sur l’usage de ces biens. Un exemple à la fois simple et concret en Suisse: l’entreprise de location de véhicules Mobility. Au lieu d’acheter une voiture, le client loue son usage pour un temps défini. Idéalement, la production automobile s’en verra diminuée. Egalement mis en location: les vélos en ville.

L’idée est ancienne mais le concept ne se diffuse que depuis peu, porté par les préoccupations écologiques et une prise de conscience qui se généralise. L’expression, dont l’équivalent anglais est service economy, a été formulée par Walter R. Stahel et Orio Gariani en 1985. Diplômé en architecture de l’ETH Zurich, Walter R. Stahel est aujourd’hui consultant en gestion d’entreprise et l’une des sommités de la service economy. «Le concept est tout sauf utopique, en tout cas de moins en moins, constate Dominique Bourg, professeur à l’Université de Lausanne et chantre de cette économie durable. Cela existe et fonctionne. Et c’est l’une des rares solutions efficaces permettant de répondre à l’augmentation du coût des matières premières et de l’énergie.» Ainsi, les pneus. L’idée n’est plus d’en vendre le plus possible, mais de «maximiser la durée du support», comprendre, de fabriquer des pneus solides, qui pourront être loués longtemps.

Le hic? L’investissement initial doit être fort et ne devient rentable qu’à long terme. De quoi rebuter nombre d’entreprises. Certaines, pourtant, se sont déjà lancées. Ainsi, la maison Michelin loue des camions aux pneus durables, trois fois plus résistants que les pneus mis en vente. Citons encore Xerox, qui loue des photocopieuses. Mais ce genre de stratégie n’est pas la panacée. «Je ne possède pas de voiture, soit, car je loue une Mobility. Mais en contrepartie, je m’envole pour les Bahamas. Le bilan sur la planète est nul!» avance Dominique Bourg à titre d’exemple. Cette dématérialisation relative «ne dit rien sur l’augmentation des flux dans l’absolu». Le seul moyen de régler le problème reste… la décroissance, «ce gros mot», soupire-t-il.

Malgré ces bémols, certains économistes croient dans le potentiel de l’économie de fonctionnalité. Comme Joëlle Mastelic, professeure et spécialiste de l’économie de fonctionnalité: «Ce modèle correspond bien aux attentes du monde actuel, travaillant en réseaux. Dans un réseau, ce qui compte, c’est l’accès à une ressource physique ou à une compétence. Les entreprises et les particuliers se sont habitués à ne plus être propriétaires des biens qui les entourent (leasing, abonnements, location…). Ce concept nécessite évidemment de profonds changements de fonctionnement au sein des entreprises.»

_______

Trois questions à Joëlle Mastelic
Professeure à l’Institut Entrepreneurship et Management à la HES-SO Valais Wallis, spécialiste de l’économie de fonctionnalité.

Qu’est-ce qui différencie fondamentalement l’économie de marché de l’économie de fonctionnalité?
L’économie de fonctionnalité peut être considérée comme l’économie du partage dans laquelle l’accès aux biens est plus important pour le client que la possession de ces biens. L’entreprise reste propriétaire des biens qu’elle met à la disposition de ses clients. Le but est d’intensifier leur usage, en les utilisant le plus souvent possible et en prolongeant leur durée de vie. L’éco-conception est ainsi souvent associée à l’économie de fonctionnalité car les biens qui sont mis à disposition doivent être robustes et conçus de manière modulaire. Cela permet, d’une part, d’intégrer des inno­-vations aux produits actuels et, d’autre part, de réutiliser les modules individuels comme ressources en fin de vie du produit.

Quel est selon vous le meilleur exemple d’économie de fonctionnalité?
L’économie de fonctionnalité peut être appliquée dans de nombreux secteurs. On s’imagine mal a priori le monde de la chimie proposer des services à la place de leurs produits. C’est pourtant ce que fait l’entreprise Safe Chem. Elle a été confrontée à un problème écologique important car les solvants qu’elle produit nécessitent une manipulation délicate afin qu’ils ne se retrouvent pas dans la nature. Après un scandale dû à une pollution sur le site de l’un de ses clients, elle a saisi l’opportunité de transformer son modèle d’affaires. Au lieu de vendre des solvants à ses clients, elle a proposé un service de dégraissage de pièces. Elle offre ainsi la fonction «dégraissage» et non le produit «solvant» à ses clients. Cela lui permet d’utiliser le même solvant à de nombreuses reprises (intensité d’usage) et d’éviter les fuites de produit dans la nature. Elle voit croître son chiffre d’affaires non pas grâce à la production de solvant supplémentaire mais grâce à la croissance des services de dégraissage de pièces.

Est-ce que l’économie de fonctionnalité peut être assimilée à une forme de décroissance?
L’économie de fonctionnalité ne suit pas la logique de la décroissance. Elle incite à la dématérialisation de l’économie, découplant consommation de ressources et production de richesse. Elle permet la croissance des entreprises grâce au développement de nouveaux services à valeur ajoutée. Elle n’incite aucunement à la réduction du chiffre d’affaires ni à l’arrêt de toute innovation. Elle permet également un ancrage des emplois au sein d’une région car les services offerts doivent être soutenus localement par une main- d’œuvre qualifiée (distribution, formation, réparation…).