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Faut-il limiter la croissance de l’Arc lémanique?

Embouteillages, crise du logement, pénurie des places de crèches… Le boom économique autour du Léman engendre de nombreux problèmes. A tel point que certains politiciens n’hésitent plus à parler de décroissance.

Pont du Mont-Blanc, 8h du matin. Les files de voitures à l’arrêt dans les deux sens crachent dans l’atmosphère les émanations de leurs pots d’échappement. Les plaques d’immatriculation affichent les cantons de Genève et Vaud, mais aussi des départements de France voisine: Ain (01), Jura (39), Haute-Savoie (74)… Le blocage est total. Dans les transports en commun, la situation n’est pas meilleure: les trams, bus et trolleys sont bondés; la ligne de train Lausanne-Genève est saturée aux heures de pointe.

«La croissance soutenue que connaît l’Arc lémanique a engendré indirectement plusieurs problèmes, notamment au niveau des transports et des logements», reconnaît Nathalie Fontanet, vice-présidente du Parti libéral genevois (PLG) et députée. Une situation qui pourrait bien s’aggraver. Selon les prévisions de l’Office fédéral de la statistique, la population du canton de Genève augmentera selon les scénarii de 13 à 33% d’ici à 2040. Idem dans le canton de Vaud où le nombre d’habitants devrait atteindre 940’000 personnes en 2040, soit une progression de 33% par rapport à 2010. De quoi saturer davantage les transports, les logements et les services de la région.

A tel point que désormais des voix s’élèvent, affirmant qu’il faut décroître ou freiner cet élan économique et démographique. «C’est une chance d’avoir de la croissance, mais cela engendre des soucis, explique Daniel Rossellat, le syndic de Nyon. Si nous ne sommes pas attentifs, la population finira par ne voir que les inconvénients. Il faut donc la limiter. Ces vingt dernières années, la croissance était de 2,5% par an en moyenne. Si on la limite à 1,5%, cela ne me pose aucun problème.»

L’idée commence aussi à faire son chemin dans la tête des électeurs qui, aux dernières élections municipales de Vevey (VD), n’ont pas hésité à propulser Yvan Luccarini, indépendant qui prône la décroissance, au second tour. «En Suisse, nous vivons dans une bulle avec la croyance que la croissance peut durer pour toujours, estime le politicien. Ce n’est pas le cas. Les ressources, à l’échelle de la planète comme à celle de la région, sont limitées. Et il est impossible de découpler la croissance des ressources. La décroissance va donc arriver. Je milite pour que nous nous y préparions.»

Plus mesurée, la présidente d’Ecologie libérale et nouvellement conseillère nationale, Isabelle Chevalley affirme qu’il «faut limiter la croissance»: «Je ne prône pas la décroissance mais une stabilisation du développement économique.» Mais comment freiner la croissance sans tomber dans d’autres travers, peut-être plus graves, comme une recrudescence potentielle du chômage? «La première chose à faire est de supprimer la promotion économique, qui attire de plus en plus de multinationales autour du Léman, alors qu’elles saturent la région. En bonne libérale, je prône moins d’intervention de l’Etat, qui offre à ces sociétés internationales des avantages fiscaux. Elles viennent avec leurs employés qui s’intègrent difficilement. Ces étrangers provoquent une hausse massive des loyers, si bien que pour les locaux, le ressenti n’est pas bon. Plutôt que d’attirer davantage de multinationales autour du Léman, nous devrions les pousser à s’installer dans des régions moins favorisées, notamment à Yverdon et à Fribourg, et soutenir autour du Léman une croissance endogène en accordant des avantages aux PME locales. Cela va ralentir la croissance et non la stopper.»

Un avis partagé par Daniel Rossellat: «Il est absurde de vouloir attirer de nouvelles entreprises si celles déjà implantées doivent se délocaliser pour se développer. D’autant que, lorsqu’elles s’implantent, les multinationales recrutent seulement 20% de locaux et ce sont toujours les plus bas salaires. Aujourd’hui, à Nyon, les prix des appartements sont devenus prohibitifs pour beaucoup de personnes, les jeunes en particulier. Si bien que nous observons une diminution des 20 à 35 ans dans le district.»

S’il reconnaît la difficulté de la situation, Cyril Aellen, président du PLG, refuse d’ouvrir la porte à une stabilisation de la croissance: «Ce n’est pas la bonne solution. Actuellement, la croissance et les expatriés servent de bouc-émissaire. Mais il ne faut pas s’y tromper: parler de décroissance et d’invasion des multinationales, c’est comme stigmatiser les expatriés. Dans les deux cas, la menace vient de l’étranger. Cela ne me satisfait ni quand cela vient du MCG (Mouvement citoyens genevois), ni quand cela émane de la bourgeoisie verte. Après, si certains politiques sont prêts à revendiquer la décroissance, c’est-à-dire un appauvrissement de la région, pourquoi pas. Moi non.»

«La croissance n’est pas responsable de tous les maux dont on l’accuse, poursuit le président du PLG. Pour une entreprise, il est préférable d’utiliser la main-d’œuvre locale plutôt que des expatriés. Quand les multinationales s’implantent, elles emploient d’abord beaucoup d’étrangers, puis leur nombre diminue. Les sociétés implantées depuis des années ont ainsi peu d’expatriés parmi leurs salariés. Le problème, c’est le manque d’infrastructures, de logements et de voies de transport.»

De gauche à droite de l’échiquier politique, tous les partis s’accordent sur le fait qu’il faut bâtir des infrastructures mieux adaptées à la croissance de la région. «Il faut absolument cons­truire des logements et des infrastructures, estime ainsi Daniel Rossellat. Mais cela ne doit pas se faire n’importe comment. Pour inciter les promoteurs immobiliers à construire des loge­ments à loyers accessibles à la classe moyenne, les Municipalités doivent par exemple exiger un pourcentage de logements d’utilité publique lors de l’établissement des plans de quartiers ou dans le cadre de négociations avant la délivrance de permis de construire. Les transports doivent se discuter à l’échelle de la région en incluant les autorités de France voisine.»

«Nous avons pris du retard au niveau des infrastructures, poursuit Nathalie Fontanet. La troisième voie ferroviaire est une nécessité, mais il faut également finir le contournement de Genève afin de dé-saturer le pont du Mont-Blanc. Il faut aussi construire des logements. Le problème, c’est que tout le monde veut des logements, mais personne ne les souhaite à côté de chez soi. Je propose que nous limitions les possibilités de recours, afin de pouvoir cons­truire davantage et plus vite.»

«Reste que l’Arc lémanique est un espace restreint, souligne Isabelle Chevalley, conseillère nationale. Aujourd’hui, il arrive à saturation et nous ne pourrons repousser le lac ou le Jura pour construire davantage.» Un argument que le libéral Cyril Aellen admet à demi-mot: «C’est évident que nous ne pourrons pas cons­truire éternellement, mais nous avons encore de la marge.» «Il faut une vision à long terme, lui rétorque Yvan Luccarini. On ne peut pas continuer à se développer en fermant les yeux. Cela se résume à: “Après moi le déluge”.»
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Une version de cet article est parue dans la revue Hémisphères (no 2).