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La guerre commerciale à coups de brevets

Pour neutraliser leurs concurrentes, les grandes firmes, Apple et Samsung en tête, ont pris l’habitude de s’accuser de plagiat. Une pratique qui va s’intensifiant, entraînant des coûts exorbitants. Explications.

Le cessez-le-feu aura été de courte durée, le temps pour Apple d’honorer la mémoire de son fondateur, Steve Jobs, décédé le 5 octobre dernier, et pour Samsung d’envoyer ses condoléances. Et puis les hostilités ont repris de plus belle. Depuis plusieurs mois, ces deux géants du high-tech s’accusent à coups de brevets de copier les produits de l’autre. Ils se livrent une guerre impitoyable devant les tribunaux de neuf pays pour s’empêcher mutuellement de commercialiser leurs tablettes et smartphones.

Si l’on en croit les avocats d’Apple, la technologie tactile de toute la gamme Galaxy de Samsung représente une violation de plusieurs brevets de la compagnie de Cupertino. La tablette sud-coréenne serait ainsi une «vulgaire copie» de l’iPad. Samsung contre-attaque en dénonçant l’iPhone 4S, dont il espère faire interdire la vente en France et en Italie pour les mêmes raisons. Jusqu’à présent, Apple est sorti vainqueur de plusieurs batailles: les ventes de la tablette Galaxy 10.1 ont été gelées en Australie. Et celles des smartphones Galaxy S, Galaxy S II et Ace ont été temporairement bannies dans 30 pays européens. Pourtant, les rivaux sont également partenaires: Samsung fabrique en effet les processeurs de l’iPhone 4, l’iPhone 4S, l’iPad2 et l’iPod Touch.

Un véritable méli-mélo dans lequel il devient de plus en plus difficile de s’y retrouver. L’enchevêtrement des fils qui lient — tout en les opposant — des entreprises comme Google, Kodak, Amazon, Oracle, Sony, Microsoft, etc. est si complexe qu’il ressemble à l’ouvrage d’un maître tisseur. Aucune compagnie un tant soit peu prospère et visible n’est épargnée par cette guerre des brevets qui semble s’intensifier et coûte des sommes ahurissantes.

«Malheureusement, les brevets sont aujourd’hui utilisés pour restreindre la capacité des entreprises à créer les meilleurs produits. Du coup, ils freinent l’innovation», explique Mike Masnik, analyste et fondateur de Techdirt, un blog consacré à l’industrie high-tech. «L’argent généré par ces disputes pousse même les plus inventifs des ingénieurs à devenir avocats spécialisés dans les brevets.»

Parfois, il s’agit de frapper le premier pour affaiblir le concurrent. Ou bien de se défendre contre ses attaques, s’il détient un arsenal plus important de brevets, qu’il peut menacer de dégainer comme une arme dangereuse à tout moment. Comment espérer gagner? En achetant le plus grand nombre de brevets possible. Google a par exemple déboursé 12,5 milliards de dollars pour acheter Motorola. Ce n’est pas sa technologie qui intéresse Google mais son portefeuille de 17’000 brevets (ou 25’000? Le chiffre varie) qui lui permettront, a déclaré son PDG Larry Page, «de mieux protéger Android contre Apple et Microsoft».

Racket mafieux

Les deux rivaux historiques se sont en effet associées pour semer des obstacles sur le chemin de Google auquel ils ne pardonnent pas d’avoir commercialisé un smartphone gratuit. Microsoft et Apple ont d’ailleurs formé un partenariat pour l’acquisition de Nortel et de ses 6’000 brevets de téléphonie mobile pour la somme de 4,5 milliards de dollars.

Le commerce de brevets est devenu si lucratif qu’une industrie s’est formée autour du phénomène, que certains qualifient de «racket mafieux». Des firmes ont été créées avec le seul objectif de déposer, acquérir et vendre des brevets et surtout d’obtenir d’énormes profits en lançant des poursuites judiciaires tous azimuts. Ces firmes, qui ne produisent rien de concret et prétendent soutenir les inventeurs, ont été affublées d’un sobriquet: «Patent trolls». Ce sont des sortes de vampires. Basée dans la Silicon Valley, la plus importante, Intellectual Ventures, a été fondée en 2000 par l’ex-Chief Technology Officer de Microsoft Nathan Myhrvold et détiendrait environ 35’000 brevets. «Mais personne, dans l’industrie, n’acceptera d’en parler, confie l’analyste et capital investisseur Chris Sacca. Ils ont tous peur de devenir une cible.» D’après Techdirt, Intellectual Ventures aurait amassé le plus important portefeuille de brevets couvrant virtuellement toutes les technologies existantes.

Grand spécialiste de ce genre de dossiers, l’avocat Neel Chatterjee a d’abord accepté de nous parler, avant de changer brusquement d’avis. «Sans commentaire», annonce-t-il. Des milliers de litiges sont pourtant en cours dans l’industrie. Durant la première semaine d’octobre par exemple, OpenWave a lancé une procédure contre Apple et RIM, HTC a lancé une procédure contre Apple, Rovi contre Hulu et Kodak contre Apple.

«Le problème, commente Chris Sacca, est que le US Patent and Trademark Office (PTO) est capable d’approuver 5000 brevets différents pour exactement la même technologie». Le système est vicié, les brevets souvent trop vagues. En 2010, le PTO a émis 10’792 brevets. Les cinq compagnies qui ont eu le plus grand nombre de brevets approuvés sont: IBM (5866), Samsung (4518), Microsoft (3086), Canon (2551) et Panasonic (2443). Jusqu’à récemment, Google avait la réputation d’être une sorte de gentleman dans cette guerre qui empoisonne l’industrie. «Mais il est vrai aussi que, malgré sa taille, c’était l’une des entreprises qui en détenait le moins», explique Mike Masnick. «Ce n’est plus le cas.»

Les analystes prédisent que les entreprises les plus susceptibles de survivre aux procès à répétition sont Google, Apple et Microsoft. Les moins visibles étant bien-sûr les plus en danger. La dernière bataille en date se déroule autour de l’important portefeuille de Kodak, qui a plus de valeur que la compagnie elle-même. Les potentiels acquéreurs sont déjà au chevet de cette légendaire entreprise en faillite.
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Vers une législation plus souple

Après sept ans de controverses et de débats, Barack Obama a signé la loi de réforme des brevets le 16 septembre dernier, la première en 60 ans. Dorénavant, les Etats-Unis s’aligneront sur le reste du monde en prenant en compte la date de dépôt de la demande de brevet plutôt que la date de conception de l’invention revendiquée, plus difficile à prouver. En effet, jusqu’au 16 septembre, lorsque deux personnes demandaient le dépôt d’un brevet pour la même invention, l’US Patent Office devait déterminer laquelle des deux l’avait inventée la première. La réforme met également fin aux procédures dites d’interférence: désormais, un inventeur déposant une demande de brevet doit prouver que l’objet d’une demande antérieure déposée par un tiers découle de sa propre invention.

Dans le reste du monde, chaque continent a ses propres lois mais de nombreux pays se soumettent aux règlementations mises en place par Le Patent Cooperation Treaty. D’autre part, la World Intellectual Property Organization maintient une base de données mondiale de dépôts de brevets. Mais un inventeur ne peut pas déposer un brevet international valide dans tous les pays (un brevet n’est valable que sur le territoire du pays qui l’a enregistré). Aussi doit-il déposer son brevet dans chaque pays où il veut opérer.
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Une version de cet article est parue dans Swissquote Magazine (no1 / 2012)