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Les paradoxes d’un pays bien vertueux

Refuser des vacances supplémentaires tout en limitant le nombre de résidences secondaires, quoi de plus logique? Cette saine cohérence s’envole pourtant quand il s’agit du prix du livre ou de l’exportation des cigarettes…

Un pays qui se méfierait d’un surplus de vacances et qui se soucierait de l’intégrité de ses beautés naturelles au point d’y limiter le séjour de vacanciers en surnombre n’est pas seulement un pays raisonnable, cohérent, mais aussi vertueux. Jusqu’à l’excès diront certains, jusqu’à l’ennui et la paralysie, gémiront d’autres.

Une vertu qui a attiré par exemple la compassion du candidat du Front de Gauche à la présidence de la République française, Jean-Luc Mélenchon. «Je les plains de tout mon cœur», s’exclame-t-il à propos des Suisses, «de se laisser intimider par un patronat qui les convainc de ne pas prendre de vacances». Rien d’étonnant, il est vrai, dans une Suisse envisagée comme le «coffre-fort de tous les voyous de la terre».

Pour rassurer ceux qu’inquiètent ou attristent ces excès de vertu soumise, il reste au moins le prix unique du livre, balayé par un peuple souverain cette fois brutal et sans scrupule. Un peuple ne songeant qu’à son petit portemonnaie et prêt à étrangler froidement les représentants d’une profession certes aussi noble que sinistrée. Que vont devenir, les bons libraires du royaume?

Peut-être a-t-elle fini par s’user à force qu’on s’en serve et s’en gargarise, cette certitude que le livre ne serait «pas un produit comme les autres», que vendre des bouquins, mêmes les pires, qui sont rarement ceux qui se vendent le moins, serait mille fois plus noble et méritoire que «vendre des boîtes de petits pois».

Rappelons à cet égard une scène étonnante de «La Grande illusion», le film de Renoir. Prisonniers des Allemands, pendant la première guerre, des soldats russes se languissent dans un camps fortifié jusqu’au jour où ils reçoivent, envoyée par leur tsarine, une énorme caisse en bois. De la vodka, évidemment, ils en sont sûrs et ne se tiennent plus d’excitation à la perspective d’un si puissant bonheur au milieu d’un quotidien si désolé.

Mais la caisse ouverte, ce qu’ils découvrent, ce sont des livres, des montagnes de livres, auxquels, aussitôt, de rage et de frustration, ils boutent un feu vengeur.

On n’en est plus là, bien sûr. N’empêche, en temps de crise et d’incertitude, d’offres pléthoriques aussi, quoi d’étonnant à ce qu’une majorité même vertueuse de Suisses privilégient, même par rapport au livre, d’abord la modestie de son prix plutôt que son unicité? Et puis, 30 à 40 francs pour un livre, c’est un prix pour riches ou très petits lecteurs. Cette majorité vertueuse, il faut le dire, qui préserve les paysages et n’aime rien tant que le travail, s’est montrée aussi convaincue de cette idée scandaleuse: les libraires sont des commerçants comme les autres.

On se rassurera définitivement quant à cette prétendue naïveté vertueuse qui serait la marque de fabrique d’une Suisse hors du monde et du temps, en constatant que les élites du moins savent se montrer cyniques et méchantes à souhait, comme partout ailleurs.

On peut voir ainsi le Conseil des Etats et surtout le Conseil national batailler actuellement pour que les producteurs de cigarettes en Suisse puissent continuer à produire et exporter «hors d’Europe des cigarettes dont la teneur en substances nocives dépasse les normes européennes». Hors d’Europe, c’est-à-dire surtout en Asie et au Moyen Orient.

On a beaucoup évoqué, enfin, à propos de ce scrutin du 11 mars, une spectaculaire coupure, jamais ou peu observée jusqu’ici et qui opposerait non plus villes et campagnes, Alémaniques sourcilleux et Welsch soiffards, mais bien plaines et montagnes, Alpes et plateau.

Sauf que se déplaçant en voiture, souvent en grosses voitures, ayant accès à l’eau courante, à l’électricité, à la télévision, à internet et tout le bazar, possédant encore quelques vaches non plus pour en vivre, mais parader aux combats de reines, comme de vulgaires avocats de la ville, les Valaisans du XXIe siècle sont des citadins comme les autres.