Après un mois et demi de tourmente politique et sociale ayant provoqué une légère baisse de sa popularité dans les sacro-saints sondages, Lionel Jospin s’est livré au petit jeu délicieusement politicien du remaniement gouvernemental. La pratique rappelle ces cérémonies de promotions scolaires qui, naguère, jetaient, une fois l’an, le trouble dans les familles…
Les méchants, les impopulaires – Sautter, Allègre, Trautmann – sont renvoyés à leur vie privée, loin des caméras de la télévision. Les bons restent en place, sans que l’un ou l’autre puisse se targuer d’un réel avancement. Quelques figures nouvelles mais connues depuis des lustres font leur apparition: Laurent Fabius à l’Economie et aux Finances, Jack Lang à l’Education.
On pouvait s’y attendre de la part d’un homme politique aussi avisé que Jospin: son nouveau gouvernement dispose d’une assise suffisamment large pour lui permettre non seulement de tenir mais aussi d’encaisser les coups jusqu’à l’échéance fatidique de 2002, année qui verra des législatives précéder la présidentielle.
De Fabius qui trône dans un centre penchant déjà vers la droite à Duffour le dernier né des ministres communistes, le Jospin II offre une variété politique si plurielle qu’elle frise l’arc-en-ciel, d’autant plus que tous les courants internes au PS sont désormais représentés. Il ne manque qu’Arlette Laguiller pour que le spectre de la gauche soit entièrement couvert.
Les souverainistes – républicains antieuropéens – qui pouvaient déjà compter sur Chevènement (maintenu à l’Intérieur) et les communistes reçoivent un appui de taille avec l’arrivée de Jean-Luc Mélenchon, leader de la gauche socialiste.
Le premier ministre résout au passage le conflit interne qui opposait Jack Lang à Bertrand Delanoë sur la candidature à la mairie de Paris. En prenant la place d’Allègre (appel du pied aux éléphants du mitterrandisme pour qu’ils cessent de bouder), Lang laisse le champ libre à son concurrent. Le PS s’évite ainsi une querelle meurtrière dans la capitale et présente un front uni contre Tiberi alors que la droite en est encore à se chercher un candidat.
Langue de bois oblige, Jospin s’efforce de faire croire que son nouveau gouvernement sera celui des réformes alors qu’il est clairement préélectoral. C’est bien un gouvernement offensif qu’il a concocté. Mais cette offensive va se réduire à la pêche au voix, pas à des réformes qui pourraient effrayer l’électeur. Une fois de plus, les classes moyennes – celles qui occupent le centre de l’échiquier politique et dont le vote peut faire pencher la balance d’un côté ou de l’autre – vont être l’objet de toutes les attentions, de toutes les délicatesses. Laurent Fabius pourvoira à leur bonheur en limant les contraintes fiscales.
La droite étant toujours, pour l’heure, dans la panade, incapable qu’elle est de se regrouper autour d’un leader, la seule inconnue reste la réaction du «peuple de gauche» face à un jospinisme dont le seul credo est le réalisme politique.
Ce peuple de gauche – la fonction publique et les employés, mais aussi et surtout les masses d’intérimaires, de précaires, d’éternels stagiaires surdiplômés et sous-payés qui vivotent dans les centres urbains – est capable de brusques sautes d’humeur. Sans idéal auquel se rattacher, il descend vite dans la rue.
Or ces manifestations irrespectueuses, on vient de le voir, ont fâcheusement tendance à contrecarrer les plans les plus habiles.